L’essor des trottinettes électriques oblige à repenser le partage de l’espace public en ville
L’essor des trottinettes électriques oblige à repenser le partage de l’espace public en ville
Par Maud Obels
Trottinette, gyroroue, eskate ou hoverboard ne sont pas pris en compte par le code de la route. Leur développement impose une réflexion sur la répartition de l’espace public.
La majorité des utilisateurs de trottinettes électriques l’utilisent pour se rendre au travail. / PHILIPPE HUGUEN / AFP
Pouvoir se déplacer librement, rapidement et sans effort… la proposition est séduisante et l’offre est désormais bien réelle, entre les trottinettes électriques, disponibles depuis peu en libre-service dans deux arrondissements parisiens et à Bruxelles, la gyroroue (monocycle électrique), l’eskate, l’hoverboard ou encore le gyropode (comme le Segway).
Ces mobilités sont regroupées sous le terme d’engins de déplacement personnel (EDP) par les pouvoirs publics ; une catégorie hybride, puisqu’elle comprend aussi bien les engins électriques que les rollers ou les trottinettes classiques. C’est la raison pour laquelle beaucoup d’acteurs du secteur préfèrent le terme de nouveaux véhicules électriques individuels (NVEI).
Trottinettes, une offre « de plus en plus large »
Encore confidentiels il y a quelques années, ces modes de déplacement se développent rapidement. « Surtout les trottinettes électriques, confirme Mathieu Lavergne, d’Eroue, boutique installée dans le 5e arrondissement de Paris depuis quatre ans. Le secteur des trottinettes évolue beaucoup, aussi bien côté ventes que côté technologies, l’offre est de plus en plus large. »
Difficile d’avoir des chiffres concernant le nombre d’utilisateurs, aucune étude sérieuse n’ayant été réalisée et les professionnels du secteur commençant tout juste à s’organiser en réseau. Sur la base d’un sondage réalisé en mars, l’assureur Aviva estime que 3 % des Français utilisent déjà des NVEI, soit 1,5 million de personnes, et que 17 % ont l’intention de les utiliser prochainement, soit 8,5 millions d’utilisateurs potentiels.
Un chiffre d’utilisateurs très largement surestimé, selon Christophe Bayart, dirigeant de Mobility Urban, enseigne de distribution de NVEI, qui, lui, estime entre 400 000 et 500 000 le nombre d’usagers. « En 2017, les ventes, en quantité, ont considérablement augmenté, précise-t-il. En valeur, la progression est de 30 %, mais des produits à bas prix et de mauvaise qualité sont arrivés sur le marché. »
Cet essor ne va pas sans poser quelques questions quant au cadre réglementaire dans lequel ces nouveaux engins, et leurs propriétaires, peuvent évoluer. Situés dans un « angle mort » du code de la route, les NVEI sont dans un flou juridique : comment ces véhicules peuvent-ils circuler, sur quelles voies, à quelle vitesse et soumis à quelles règles ?
Les utilisateurs – et celles et ceux qu’ils côtoient – roulent encore à vue. Pour le moment, ils sont considérés comme des piétons. Ils sont donc supposés rouler sur les trottoirs à l’« allure du pas », soit environ 6 km/h. Ils sont tolérés sur les pistes cyclables à maximum 25 km/h, sans y être vraiment autorisés.
Ces limites de vitesse paraissent en décalage avec les technologies disponibles, puisque les magasins spécialisés vendent des trottinettes électriques pouvant atteindre 85 km/h, sans aucune obligation de port d’un casque, de présence de lumières ou encore d’immatriculation.
« Même si rien n’est obligatoire, nous donnons des consignes de sécurité, nuance Mathieu Lavergne. Nous expliquons à nos clients que le port d’un équipement de protection, d’un casque et de gants est très vivement conseillé. »
Ces vitesses potentielles démesurées devraient par ailleurs bientôt disparaître, puisqu’une norme est en cours d’élaboration, qui bridera la capacité de ces engins. « Sans doute à 25 km/h maximum, comme les vélos à assistance électrique », selon Christophe Bayart.
Les usagers de gyroroues, et autres engins électriques, sont pour le moment assimilés à des piétons. / Solowheel
Les pouvoirs publics vont bientôt légiférer, dans le cadre du projet de loi orientation sur les mobilités, qui devrait être votée à l’automne, après avoir été plusieurs fois retardé. Cette nouvelle législation sera issue de la réflexion menée lors des Assises de la mobilité, qui se sont déroulées d’octobre à décembre 2017.
Elle ne prend toutefois pas la mesure du bouleversement en cours dans les mobilités, estime Jérôme Monnet, chercheur au laboratoire Ville mobilité transport : « Cela fait des décennies que l’on sépare clairement les piétons, les automobiles, les transports en commun. Ces nouveaux engins viennent brouiller ces catégories. L’utilisateur est-il un piéton ou un véhicule ? Il faut observer la transformation des pratiques, car la grande différence, c’est que l’usager peut désormais transporter son véhicule. »
Selon lui, les NVEI ont le potentiel d’une profonde transformation de la manière de se déplacer en ville et dans les zones périurbaines, mais « il peut toujours y avoir un retour en arrière, avec des crispations liées au cadre réglementaire ».
Pour préciser ce cadre, un comité d’experts du Conseil national de sécurité routière a suggéré, à l’issue de ses assises, d’assimiler « les engins de déplacement à des cycles quant à l’usage des espaces publics et aux règles d’usages relativement au partage de la voirie », tandis que la Direction générale des entreprises souhaite pérenniser la circulation sur les trottoirs.
La première solution semble convenir à toutes les parties. Selon un sondage réalisé par Mobilty Urban auprès d’usagers, en janvier : 65 % d’entre eux souhaitent être assimilés aux cycles.
Pierre Hémon (EELV), conseiller délégué aux mobilités actives à la Métropole de Lyon, estime également que les NVEI « s’insèrent bien sur les pistes cyclables » : « Je suis pour sanctuariser les trottoirs, c’est le dernier espace où les piétons peuvent être tranquilles », ajoute-t-il.
Combinaison de modes de déplacement
Attention à la surchauffe, nuance Jérôme Monnet : « Les pistes cyclables, conçues pour l’ergonomie du vélo, vont très vite exploser si tous ces utilisateurs doivent les partager. » Lui prône une solution bien plus radicale : « Tous les engins roulants devraient se partager la chaussée. Evidemment, cela signe un peu la fin de la circulation automobile. »
Ce qui n’est, selon lui, pas un problème, grâce à la combinaison des trois modes de déplacement de la ville du futur : la marche, les transports en commun et les microvéhicules portables. « Je sais que ce n’est pas une recommandation de politique publique réaliste, mais je rêverais que ces nouvelles mobilités soient l’occasion d’une véritable discussion politique. Profitons-en pour innover ! »
Si les métropoles n’en sont effectivement pas encore là, elles accueillent avec bienveillance ces nouveaux usages. « Tout ce qui peut éviter de prendre la voiture, c’est très bien, estime Pierre Hémon. J’ai déjà repéré des endroits où un système de location de trottinettes électriques, mais plutôt avec des bornes, serait à sa place dans la métropole lyonnaise, pour combler les derniers mètres entre les transports publics et les lieux de travail. »
Quant à l’entreprise Lime, qui propose les trottinettes en libre-service dans la capitale, elle signera, mercredi 27 juin, ainsi que tous les acteurs des deux-roues, une charte de bonne conduite avec la Ville de Paris.