La sélection cinéma du « Monde »
La sélection cinéma du « Monde »
Chaque mercredi, « La Matinale du Monde » propose un choix de longs-métrages à voir sur grand écran.
LES CHOIX DE LA MATINALE
Cette semaine, La Matinale est tiraillée entre deux pôles. Celui de la famille, vue au travers d’une mère dépassée par la naissance de son troisième enfant (Tully), et des relations mères-fille entre trois femmes en Sardaigne (Ma fille). Et celui des plaisirs de la chair, grâce à Vanessa Paradis, qui revient dans un rôle de productrice de films pornos gays (Un couteau dans le cœur).
NOUVEAU RÉCIT SUR LA MATERNITÉ : « Tully », de Jason Reitman
TULLY Bande Annonce (Charlize Theron, 2018)
Quand les acteurs se transforment, il est d’usage que ce soit pour une cause sortant de l’ordinaire. Gary Oldman s’est vieilli, rapetissé, pour célébrer Winston Churchill dans Les Heures sombres (2018). Charlize Theron s’est enlaidie pour toucher à la réalité d’Aileen Wuornos, la meurtrière de Monster (2003).
Quinze ans plus tard, la même Charlize Theron mue à nouveau ; cette fois pour être une femme comme on en croise chaque jour, une mère de famille qui perd pied. On découvre Marlo comme à travers une eau trouble dans laquelle elle se débat sans jamais arriver à remonter à la surface : Marlo est enceinte d’un troisième enfant.
Après la naissance de Mia, Marlo finit par accepter la proposition, initialement refusée, que lui avait faite son frère, un parvenu sympathique : il s’est engagé à payer les services d’une nounou de nuit, qui viendra chaque soir s’assurer que Marlo et Mia parviennent jusqu’au matin fraîches et reposées. C’est ainsi qu’un soir Tully (Mackenzie Davis) apparaît sur le seuil de la maison de Marlo. A partir de ce moment, la chronique quotidienne de la maternité, teintée de sarcasmes et de colère, devient une espèce de conte de fées. Le réalisateur embrasse la magie avec tant d’enthousiasme qu’on en reste déconcerté, et ravi. Thomas Sotinel
Film américain de Jason Reitman. Avec Charlize Theron, Mackenzie Davis, Ron Livingston, Mark Duplass (1 h 35).
PARADIS PRODUCTRICE DE PORNOS GAYS : « Un couteau dans le cœur », de Yann Gonzalez
UN COUTEAU DANS LE COEUR Bande Annonce (Vanessa Paradis, 2018)
D’où vient Un couteau dans le cœur, le deuxième long-métrage de Yann Gonzalez ? De loin, d’un inframonde social et cinématographique, ancien et peut-être oublié, d’un monde qui ne se souciait pas d’appartenir à la culture et même à la société, mais qui aura peut-être incarné le cœur saignant de son époque. C’est un film nourri du passé mais qui ne pouvait pourtant se concevoir qu’aujourd’hui.
A travers ce récit ponctué de meurtres ritualisés (l’assassin est masqué et son arme est un godemiché doté d’une lame rétractable) dans le milieu du cinéma porno gay de la fin des années 1970, Yann Gonzalez invite le spectateur à participer à un très singulier trip. Les victimes de l’assassin à la cagoule de latex sont des comédiens de films pornographiques homosexuels produits par Anne Pareze (Vanessa Paradis). Un couteau dans le cœur est une déclaration d’amour tout autant qu’une déconstruction des thrillers italiens de série des années 1970, du cinéma pornographique, mais aussi de l’abstraction plastique. Jean-François Rauger
Film français de Yann Gonzalez. Avec Vanessa Paradis, Kate Moran, Nicolas Maury (1 h 42).
TRIO FÉMININ : « Ma fille », de Laura Bispuri
MA FILLE Bande Annonce (2018)
Jamais la blondeur et la flamme de l’Italienne Alba Rohrwacher ne se sont si bien accordées avec un paysage, au cinéma. Celui de la Sardaigne, rocailleux et brûlant comme Angelica, l’un des trois personnages du film de Laura Bispuri. Femme vivant dans la marge, sur le point de perdre sa maison, Angelica devrait quitter sa terre. Mais c’est à ce moment précis qu’elle prend conscience de son attachement à Vittoria, sage fillette (Sara Casu). Cette dernière a été élevée avec amour par Tina (Valeria Golino). Mais la préadolescente éprouve le besoin de s’éloigner.
Au-delà du court suspense qu’elle installe sur l’identité de la mère biologique, la réalisatrice s’emploie à dissoudre la famille et ses normes dans un nuage de poussière. Le trio de femmes sans jules (et Jim) se déplace, géographiquement et mentalement, sur ce coin isolé de Sardaigne qui devient « terrain de jeu » au sens cinématographique du terme.
Le deuxième long-métrage de Laura Bispuri, sélectionné en compétition officielle à Berlin, tout comme son premier, Vierge sous serment (2015), n’a que l’esthétique du western : sous l’écrasante chaleur et le poids des traditions masculines (les femmes, c’est comme le rodéo ou presque), il n’y a pas de mise à mort, ni vainqueure ni perdante. Clarisse Fabre
Film italien, suisse et allemand de Laura Bispuri. Avec Alba Rohrwacher, Valeria Golino et Sara Casu (1 h 27).
ÉROTISME JAPONAIS : Festival du film de fesses, à Paris (du 28 juin au 1er juillet)
LEFFF
Cela fait maintenant cinq ans qu’une manifestation, lestement intitulée « Festival du film de fesses », inaugure à Paris la saison estivale d’une ardeur toute licencieuse. Lancé en 2014 par deux amatrices d’art érotique (Anastasia Rachman et Maud Bambou), l’événement se déroule sur quatre jours, du 28 juin au 1er juillet, dans trois cinémas du Quartier latin (le Reflet Médicis, la Filmothèque et les 3 Luxembourg).
Sous son appellation grivoise, on déniche surtout une plantureuse programmation de films rares ou inédits, célébrant les dévoilements anatomiques et la sexualité sous toutes ses formes. L’édition de cette année se penche judicieusement sur le Japon, où l’érotisme compte au rang des beaux-arts et dont le cinéma, des années 1960 à nos jours, fut incroyablement prodigue en la matière. Entre une nuit autour d’Eiichi Yamamoto, animateur érotomane et auteur de l’extraordinaire Belladonna (1973), d’après La Sorcière, de Jules Michelet, et la projection d’une poignée d’œuvres-cultes et exubérantes (dont Inflatable Sex Doll of the Wastelands, d’Atsushi Yamatoya) surnage le nom d’un cinéaste à redécouvrir d’urgence : Tatsumi Kumashiro (1927-1995), auquel le festival consacre une mini-rétrospective. Mathieu Macheret