TV – « Secrets d’histoire » : Lucrèce Borgia, une femme au Vatican
TV – « Secrets d’histoire » : Lucrèce Borgia, une femme au Vatican
Par Philippe-Jean Catinchi
A voir aussi ce soir. Une évocation de la dynastie qui ne corrige pas les lieux communs erronés autour de la fille du pape Alexandre VI (sur France 2 à 20 h 55).
Fille de pape n’est déjà pas un destin banal. Se voir confier, à moins de 20 ans, la conduite des affaires courantes d’un Etat (Spolète), dans la péninsule italienne de la Renaissance, même à titre provisoire, bien peu fréquent. Se révéler une mécène très sûre et inspirer l’un des plus fins poètes humanistes de son temps, tout aussi rare. Pourtant, ce n’est pas à ces qualités que Lucrezia Borgia (1480-1519) doit sa renommée historique, mais à l’usage que firent de son image, fort peu fidèle à ce qu’en savent aujourd’hui les historiens, les artistes romantiques plus de trois siècles après sa disparition.
Tout commence à Paris, ce 2 février 1833, au Théâtre de la Porte-Saint-Martin, où Victor Hugo donne un mélodrame qui va sceller sa sulfureuse réputation de femme fatale, criminelle et incestueuse. Le succès est si considérable que Gaetano Donizetti en livre, dix mois plus tard, une version lyrique à la Scala de Milan, qui impose la légende noire d’une princesse dont les mises au point érudites ne parviennent pas à dissiper la part de fantasme du parcours réel.
Jouet entre les mains de son père
De fait, Lucrezia est une victime. Jouet entre les mains de son père, le cardinal Rodrigo Borgia, devenu pape sous le nom d’Alexandre VI quand elle a 12 ans, comme de son frère César, elle est, au hasard des intérêts stratégiques des siens, fiancée, mariée, séparée, veuve aussi quand on tue son deuxième époux, salie par son premier mari – celui-ci ayant été contraint par le pontife de reconnaître une impuissance imaginaire… Calomnies dont Hugo saura se servir et amplifier les noirceurs.
Stéphane Bern sait cela, et les spécialistes qu’il convoque décapent la légende ; mais à force de rappeler les calomnies, l’aura sulfureuse court à l’évocation de la dynastie bien plus qu’à corriger les lieux communs erronés. Ainsi, la figure du cardinal Pietro Bembo n’apparaît qu’incidemment alors que le poète Ludovico Ariosto dit « l’Arioste » est omis, et c’est Schubert et son Ave Maria qu’on entend quand la duchesse de Ferrare meurt à 39 ans ! Un comble quand on sait la qualité de sa chapelle… Reste, comme toujours avec « Secrets d’histoire », la visite des lieux évoqués qui rachète en partie la curieuse vision binaire de la dame.
« Secrets d’histoire » : Lucrèce Borgia, une femme au Vatican (Fr, 2018, 115 min).