Avec son « Scorpion », Drake fait mouche
Avec son « Scorpion », Drake fait mouche
Par Stéphanie Binet
Sorti vendredi 29 juin, le double album du rappeur canadien Drake déroute autant qu’il séduit, en mêlant les voix de Michael Jackson et de Lauryn Hill à ses doutes de jeune père.
Le rappeur canadien Drake, à Londres, en juin 2015. / JONATHAN SHORT/INVISION/AP
Les records de streaming que le rappeur Drake vient de battre ce premier week-end de juillet avec son album Scorpion ne vont pas aider à tempérer l’ardeur égotique du rappeur. Avec plus de 300 millions d’écoutes en ligne en vingt-quatre heures, le Canadien pulvérise son précédent record établi en mars 2017 avec More Life.
Depuis 2010, Drake enregistre, en effet, un disque ou une mixtape tous les ans, humant l’air du temps, surfant sur l’humeur de ses contemporains, planant dans les nuages du cloud rap pour Nothing Was the Same en 2015, vibrant au dancehall jamaïquain pour Views en 2016, pillant le grime anglais pour More Life…
La première écoute de ce disque est, pour le moins, déroutante. Pour les vingt-cinq titres de ce Scorpion (son signe astrologique), aucune tendance évidente ne se dégage tant les titres de cinquième album studio apparaissent décousus, sans réelle cohérence les uns avec les autres. Même Michael Jackson, l’invité de marque ressuscité d’entre les morts, sur le titre Don’t Matter to Me, semble quelque peu égaré. Seulement à force de se plonger dans les méandres de ce Scorpion, on finit par retrouver ses repères : le choix des samples (de Marvin Gaye à Maria Carey), l’universalité des sujets traités et cette voix hypnotisante rarement agressive.
Radios et clip scandaleux sur YouTube
Pour réussir ce lancement, Drake avait bien préparé le terrain. Depuis six mois, deux des titres figurants sur ce double CD, parmi les plus réussis, ont été massivement diffusés sur les radios américaines et européennes. Le tube entêtant, God’s Plan, était accompagné d’un clip scandaleux, vu plus de 677 millions de fois sur YouTube : le rappeur canadien y distribue, devant la caméra, des liasses de billets à des mères de famille en pleurs, achetant des jouets dans les centres commerciaux ou offrant une voiture rutilante à un étudiant. Bref, le charity business dans sa plus indécente impudeur.
Le second single, plus finement produit et boosté par des infrabasses puissantes est une reprise d’un des plus grands succès de Lauryn Hill, X-Factor, lui-même construit sur un sample de Gladys Knight. Dans ce titre, dont le refrain est chanté par l’ancienne voix des Fugees, le rappeur revient sur la vie des jeunes urbains qui, après une semaine de dur labeur, s’éclatent en club le week-end. Ailleurs, les invectives de son concurrent Pusha-T l’accusant de ne pas reconnaître son enfant lui offrent l’un des meilleurs morceaux de ce disque, Emotionless où il avoue effectivement sa paternité, sans tomber dans le déballage de sa vie privée.
C’est la grande force du Canadien face à ses concurrents américains. Là où Kanye West met en scène sa bipolarité, Beyoncé et Jay-Z, leur couple, lui évoque son enfance, ses parents ou ses histoires de cœur que pour parler de sujets universels. Il rend hommage aux pères célibataires sur March 14, exprime ses doutes face à cette nouvelle paternité sur 8 out 10.
Toujours épaulé par No I-D ou Noah 40 Shebib pour les musiques, le rappeur va chercher aussi un ancien comme DJ Premier qui sur Sandra’s Rose prouve qu’il n’a pas perdu la main. Drake semble ne rien s’interdire, sans jamais trop s’écarter de ce qui lui a réussi non plus. Un juste équilibre qui fait mouche et nous touche.
2 cd Scorpion (Cash Money Records/Universal)
Drake - God's Plan