Un énorme incendie dans un centre technique majeur d’Abidjan, le 30 avril, qui serait selon les premiers éléments d’enquête, d’origine criminelle. Depuis, de nombreux vols et actes de sabotage sur de multiples installations. Le scénario d’un mauvais film ? Non, « un phénomène réel et de plus en plus vaste », selon Mamadou Bamba, le directeur général d’Orange Côte d’Ivoire. Souriant, mais visiblement exaspéré par la situation, lorsqu’il reçoit Le Monde Afrique au siège de son entreprise, le patron est persuadé que l’on veut nuire aux activités de cette dernière.

Orange Côte d’Ivoire a débuté « depuis plusieurs mois » et jusqu’à fin juillet une modernisation de son réseau à Abidjan, en remplaçant progressivement les câbles de cuivre par de la fibre optique. « Un travail long, minutieux, qui doit nous permettre de délivrer de meilleurs services et d’éviter, justement, le vol du cuivre, très prisé sur les marchés et auquel nous sommes confrontés comme tout opérateur mobile, explique-t-il. Or aujourd’hui, ce sont ces nouvelles installations qui sont visées. Des individus entrent dans les chambres par lesquelles passe la fibre, la sectionnent ou enlèvent des boîtiers qui n’ont quasiment aucune valeur économique à la revente. Ce qui est visiblement recherché, c’est donc l’interruption pure et simple du service. »

A tel point que la filiale du géant français, leader du marché ivoirien de la téléphonie mobile (13 millions de clients, 42 % de parts de marché) a décidé, au début du mois de juin, de suspendre le déploiement de la fibre optique et de pousser un véritable coup de gueule. « Ces attaques régulières sont de nature à remettre en question les investissements importants qu’Orange consent chaque année dans la modernisation de son réseau afin de garantir la qualité de l’expérience de ses clients », conclut fermement le communiqué de presse publié à la mi-juin.

L’âge d’or des opérateurs

Pour l’opérateur, la facture risque d’être très salée. Car si l’investissement, près de 15 milliards de francs CFA (22 millions d’euros) pour installer la fibre optique à Abidjan est important, les pertes dues aux actes de malveillance (70 coupures de câbles par mois en moyenne) commencent à s’accumuler elles aussi. Ce sont pas moins de 2 milliards de francs CFA d’équipements qui ont été perdus lors du récent incendie, auxquels s’ajoutent les frais de réparation des installations (plusieurs milliards de francs CFA) et les pertes d’exploitation, en cours d’estimation.

Une goutte d’eau, en regard du chiffre d’affaires de 112 milliards de francs CFA réalisé rien qu’au premier trimestre de cette année 2018 sur la téléphonie mobile (hors Internet, fixe et banque mobile) par Orange Côte d’Ivoire ?

Pour Mamadou Bamba, il faut en finir avec « le mythe » de l’opérateur de téléphonie qui engrange sans effort des milliards de francs CFA. Si cette époque a peut-être existé, elle est désormais « révolue », selon le directeur général, qui explique que la guerre des prix entre concurrents, l’arrivée des géants du web (Google, Facebook, WhatsApp, Snapchat, etc.), mais aussi la fiscalité « très lourde » du secteur des télécoms en Côte d’Ivoire impactent les performances des opérateurs ivoiriens.

« Nous évoluons dans un secteur où les mutations technologiques sont extrêmement rapides, en comparaison à bien d’autres. La 4G à peine déployée dans le monde, voici que l’on se prépare déjà à la 5G. Ce sont des virages technologiques que l’Afrique, et plus particulièrement la Côte d’Ivoire, ne peuvent rater. Mais, pour les prendre, il faut énormément d’investissements. En tant qu’opérateur, nous assumons notre part en investissant massivement dans la modernisation des réseaux. Mais il faut aussi que l’Etat nous soutienne dans la protection de ces équipements pour que nos investissements ne partent pas en fumée », explique Mamadou Bamba.

« Il faut une prise de conscience collective »

Du côté de l’Etat justement, on estime que c’est d’abord « l’opérateur, comme toute entreprise, [qui] est le premier responsable de la sécurisation de ses actifs », explique André Apété, directeur de cabinet du ministre de la communication et de l’économie numérique et de la poste. Il ajoute : « Si celui-ci est dépassé, il lui revient d’exprimer clairement à l’Etat ses besoins, en termes de sécurisation. Nous avons convoqué les équipes d’Orange, il y a une dizaine de jours, pour qu’elles nous transmettent une cartographie précise de leurs installations, près d’un millier de chambres de tirage rien qu’à Abidjan. Nous l’attendons toujours. Lorsque nous l’aurons reçue, nous verrons comment nous pourrons les aider. Nous réfléchissons notamment, en collaboration avec le ministère de l’intérieur, à l’utilisation de la vidéosurveillance à certains endroits stratégiques. »

Orange, qui fait pour le moment appel à des équipes de surveillance privées, affirme qu’elle ne pourra, de toute façon, « mettre un gardien devant chaque chambre de tirages de câbles, disséminée sur le territoire ivoirien. Il faut une prise de conscience collective ». La société demande surtout à l’Etat de lutter contre le phénomène en sensibilisant particulièrement les policiers et la population sur les conséquences économiques que ces actes ont sur l’activité des entreprises et des services publics. « Surtout, il faudrait que les plaintes que nous déposons soient prises au sérieux et que les investigations aillent jusqu’au bout », conclut Mamadou Bamba.

Reste alors la question que tout le monde se pose : qui veut la peau d’Orange Côte d’Ivoire ? Aux enquêtes, « toujours en cours », selon les autorités, d’y répondre.