La brouille entre l’Etat et les collectivités se cristallise sur la taxe d’habitation
La brouille entre l’Etat et les collectivités se cristallise sur la taxe d’habitation
Par Patrick Roger
Les grandes associations d’élus locaux devaient boycotter la réunion du 4 juillet à Matignon.
Entre l’exécutif et les grosses associations d’élus locaux, le « nouveau » et l’« ancien » monde, la rupture est consommée. L’Association des maires de France (AMF), l’Assemblée des départements de France (ADF) et Régions de France ont signifié, mardi, leur refus de participer, mercredi 4 juillet à Matignon, à l’instance de dialogue préparatoire à la prochaine conférence nationale des territoires prévue le 12 juillet. La chaise du Comité des finances locales (CFL), organisme composé de représentants de l’Etat, des assemblées parlementaires et des différents échelons de collectivités territoriales, restera également vide. « Je n’y serai pas car je suis solidaire des trois associations, a précisé mardi 3 juillet son président, André Laignel, et je pense d’ailleurs qu’en leur absence il serait raisonnable de repousser la conférence à la rentrée, le temps de retrouver les voies du dialogue. »
Le gouvernement devait en principe dévoiler, mercredi, les pistes de travail qu’il privilégie pour compenser la suppression totale de la taxe d’habitation (TH), ce qui équivaut à une perte de recettes de 26,3 milliards en 2020 pour le bloc communal. Le rapport d’Alain Richard et de Dominique Bur remis le 9 mai au premier ministre explore plusieurs hypothèses. Le transfert de la part de la taxe sur le foncier bâti perçue par les départements vers les communes – ou vers le bloc communal, question à trancher – semble tenir la corde. Les départements se verraient alors attribuer une fraction d’impôt national, ce qu’ils voient d’un très mauvais œil car ils y perdraient une part de leur autonomie fiscale.
« Le scénario Richard-Bur est d’une extrême complexité et, de toute façon, ça ne tombera pas juste. Il faudra accompagner ce dispositif d’un fonds national de garantie », estime M. Laignel. « Il y a une grande disparité entre la répartition du foncier bâti et celle de la taxe d’habitation, et le foncier bâti des départements ne compense pas toute la TH. Il y aura forcément besoin d’un complément », note Sébastien Miossec, représentant élu de l’Assemblée des communautés de France (AdCF) au CFL.
« Proposition intermédiaire »
Le Comité des finances locales a adopté, mardi, une délibération « afin que soient garanties les ressources des collectivités territoriales et préservée leur libre administration ». Il demande que la dispense du paiement de la taxe d’habitation, « lorsqu’elle sera étendue à 100 % des contribuables au titre de leur résidence principale, prenne la forme d’un dégrèvement ». Selon le CFL, cette solution serait la seule garantissant une compensation intégrale des ressources supprimées, permettant aux collectivités concernées de conserver leur pouvoir de taux tout en respectant leur autonomie financière et fiscale.
Cela revient aussi, d’une certaine manière, à renvoyer à l’exécutif la responsabilité d’assumer les conséquences de sa décision d’exonérer les contribuables du paiement de la TH. « Nous ne sommes pas comptables des promesses d’un candidat, même devenu président. Si ça a été mal calculé, voire bricolé, nous ne sommes pas responsables », convient M. Laignel, qui considère que « la position affirmée par le gouvernement de ne pas créer d’impôt nouveau empêche toute réforme fiscale ».
L’adoption de cette délibération a cependant donné lieu à quelques débats. « L’idée du dégrèvement est venue d’un coup, non de l’intérieur du groupe du travail mais de l’extérieur, sous la pression de l’AMF, de l’ADF et des régions », relève M. Miossec. Pour une partie des membres du CFL, il était hors de question d’approuver un dégrèvement qui se prolongerait indéfiniment, tel que le souhaitait M. Laignel. « La discussion nous a permis d’avancer, se félicite Loïc Cauret, également élu de l’AdCF. Nous pensons toujours qu’à la place du dégrèvement il faut des ressources pérennes et dynamiques. Dans cette hypothèse, il n’est qu’une proposition intermédiaire temporaire, en rappelant l’impérieuse nécessité de la révision des valeurs locatives pour aller au bout de la réforme de la fiscalité locale. »
Les discussions qui ont accompagné cette délibération font en quelque sorte écho aux dissonances au sein des associations représentant les collectivités territoriales. Après la décision de l’AMF, de l’ADF et des Régions de France de boycotter la conférence des territoires, France urbaine, l’AdCF et Villes de France, rappelant que 85 % des communes et intercommunalités concernées ont fait le choix de contractualiser avec l’Etat, ont rappelé leur volonté de poursuivre « un dialogue constructif mais exigeant ». Celles-ci entendent bien ne pas pratiquer la politique de la chaise vide.