L’horizon électoral de Karim Wade au Sénégal s’obscurcit
L’horizon électoral de Karim Wade au Sénégal s’obscurcit
Par Salma Niasse, Matteo Maillard (Dakar, correspondance)
Le fils de l’ex-président sénégalais n’est pas autorisé à concourir pour la présidentielle de 2019. Son parti conteste ce rejet et en appelle à une manifestation le 13 juillet.
Karim Wade à Mboro, au nord de Dakar, en avril 2008. / GEORGES GOBET/AFP
Le retour de Karim Wade au Sénégal comme sa candidature à la présidentielle, prévue en février 2019, semblent plus que jamais compromis. Lundi 2 juillet, le fils de l’ancien chef de l’Etat Abdoulaye Wade (2000-2012) a vu sa demande d’inscription sur les listes électorales rejetée par la Direction générale des élections. L’instance justifie sa décision par l’application d’un article du Code électoral soutenant qu’un individu condamné à une peine de prison de cinq ans ou plus ne peut devenir électeur. Ce qui éliminerait de facto Karim Wade, condamné en 2015 à six ans de prison et plus de 210 millions d’euros d’amendes par la Cour de répression de l’enrichissement illicite (CREI).
Au siège du Parti démocratique sénégalais (PDS), qui a convoqué mardi une conférence de presse pour défendre son candidat, l’heure est à la dénonciation d’une décision que chacun considère comme téléguidée par la présidence. S’appuyant sur un arrêt de la CREI, les responsables du parti soutiennent que Karim Wade jouit encore de tous ses droits civiques.
Peu loquace
« Il a été désigné par un congrès et est le seul candidat légitime du PDS. Nous n’avons pas d’autre plan », clame Madické Niang, actuel numéro deux du parti. « Si Karim Wade n’est pas candidat, Macky Sall ne le sera pas non plus. Ils nous ont déclaré la guerre, ils l’auront ! », surenchérit Me Amadou Sall, l’un des avocats de Karim Wade. Mais sur son plan d’action, le parti, qui a appelé à manifester le 13 juillet, reste vague. Il s’accroche à la possibilité de déposer un recours dans les quinze jours. « Nous allons recourir à tout ce qui est possible pour que l’élection ne se tienne pas sans notre candidat », lance Doudou Wade, l’un des cadres du PDS.
A sept mois de la présidentielle, virtuellement sans candidat, le parti est désormais dans un dilemme : persévérer avec la candidature du fils quitte à ne pas participer à l’élection présidentielle, ou préserver ses chances en changeant de candidat au risque de se mettre à dos « Gorgui », « le vieux », surnom d’Abdoulaye Wade. Dans cette atmosphère, la discrétion de Karim Wade n’aide pas. Ce dernier s’est montré peu loquace depuis la grâce présidentielle qui lui a permis de recouvrer la liberté à la moitié de sa peine et de s’envoler pour le Qatar, le 24 juin 2016. L’opposant a rompu ce silence pour la première fois, le 11 janvier 2018, à la mort du calife général des mourides, pour affirmer avoir été empêché de se rendre au chevet de ce dignitaire d’une très puissante confrérie religieuse car « expulsé » injustement de son pays et conduit à un « exil forcé » dans la péninsule Arabique.
L’ancien « ministre du ciel et de la terre », comme le surnommaient ironiquement les Sénégalais lorsque, sous son père, il occupait la fonction de ministre des infrastructures, du transport aérien, de la coopération internationale et de l’aménagement du territoire, a repris brutalement la parole le 16 juin dans son message de Korité, à l’occasion de la fin du ramadan. Un texte long de trois pages aux allures de tract électoral dans lequel il s’attaque au président, rebondissant sur l’actualité, comme les retards de paiement des bourses étudiantes ayant conduit à la mort du jeune Fallou Sène ou une possible crise alimentaire au nord.
Une arlésienne
« Macky Sall a érigé le mensonge, la manipulation et le complot en mode de gouvernance », dénonce-t-il alors, invitant ses sympathisants à se tenir « prêts à [l]’accueillir très prochainement ». Ambition qu’il avait déjà concrétisée deux mois plus tôt en s’inscrivant le 16 avril sur les listes électorales depuis l’ambassade au Sénégal au Koweït. Elle a été déboutée lundi. Annoncé régulièrement par les cadres du PDS, le retour de Karim Wade est une arlésienne qui bute sur ses devoirs judiciaires. Car s’il a été gracié par le président Sall, il n’a pas été amnistié et doit toujours s’acquitter auprès de l’Etat sénégalais des 210 millions d’euros qu’il a été condamné à lui verser.
La CREI, qui avait ordonné la saisie de tous les biens de Karim Wade, s’est heurtée à la justice française quant aux deux appartements situés dans le 16e arrondissement de Paris et le compte bancaire qu’il détient en France. Le tribunal de grande instance de Paris avait refusé, le 26 septembre 2016 la demande de l’Etat sénégalais et la cour d’appel avait confirmé ce jugement le 14 mars 2018.
Mais cela ne change rien au cas de Karim Wade au Sénégal : le 25 mai, un huissier de justice s’est présenté au domicile dakarois d’Abdoulaye Wade, qui est également le dernier connu de son fils, afin d’y déposer un recours du procureur de la CREI. Ce commandement de payer la colossale amende est un rappel on ne peut plus clair. Si le présidentiable du PDS remet les pieds sur le territoire sénégalais sans s’être acquitté de cette dette, il ira droit en prison.