L’éprouvette, dernier espoir des rhinocéros blancs du Nord
L’éprouvette, dernier espoir des rhinocéros blancs du Nord
Le Monde.fr avec AFP
Pour tenter d’assurer la survie de cette sous-espèce de pachydermes, une équipe de chercheurs au Kenya ont fécondé en laboratoire des ovules avec une autre espèce.
Sudan, dernier rhinocéros mâle blanc du Nord, est mort en mars 2018 à l’âge de 45 ans dans la réserve kényane d’Ol Pejeta. / TONY KARUMBA / AFP
Un bébé-éprouvette rhinocéros blanc du Nord d’ici à trois ans ? C’est l’espoir de chercheurs ayant réussi à créer les premiers embryons in vitro de rhinocéros, une « étape essentielle » pour la survie de cette sous-espèce quasi éteinte du pachyderme. Sudan, dernier rhinocéros mâle blanc du Nord, est mort en mars à l’âge de 45 ans dans la réserve kényane d’Ol Pejeta, laissant derrière lui sa fille et sa petite-fille, Najin et Fatu, dernières représentantes sur la planète de cette sous-espèce africaine décimée par le braconnage.
Avec cette disparition, beaucoup comptaient sur la science pour assurer la perpétuation de ces pachydermes, dont les derniers individus sauvages ont été tués il y a plus de dix ans. Grâce à des procédures de procréation assistée inédites chez des rhinocéros, la « première étape essentielle pour sauver cette sous-espèce quasi éteinte » a été franchie, avec la création d’embryons hybrides in vitro, explique une équipe internationale de chercheurs dans la revue Nature Communications.
Sept embryons
Ils ont prélevé dans des zoos européens plus de 80 ovocytes sur des femelles rhinocéros blancs du Sud, sous-espèce dont il reste quelque 20 000 individus sauvages dans le sud de l’Afrique. Les ovules ont ensuite été fécondés en laboratoire, certaines par du sperme congelé de rhinocéros blancs du Nord et d’autres par celui de son cousin du Sud, grâce au laboratoire italien Avantea, spécialiste de la reproduction des chevaux et des bovins.
Résultat : sept embryons, dont trois ont été congelés. « Notre but est d’avoir d’ici à trois ans la naissance du premier petit rhinocéros blanc du Nord », assure Thomas Hildebrandt, de l’Institut Leibniz de recherche zoologique et animale de Berlin.
« En prenant en compte les seize mois de grossesse, nous avons un peu plus d’un an pour réussir une implantation » sur une mère porteuse rhinocéros blanc du Sud, Najin et Fatu n’étant pas en mesure de mener une grossesse, poursuit-il.
Et le temps est compté. Les descendantes de Sudan sont les seules à « pouvoir apprendre la vie sociale à un rhinocéros blanc du Nord », souligne l’expert en reproduction animale. Mais pour l’instant, les embryons créés permettraient au mieux la naissance d’un hybride. Alors pour faire naître un petit rhinocéros blanc du Nord « pur », les chercheurs souhaitent recueillir les ovocytes des deux femelles du Kenya.
« Nous espérons pouvoir le faire d’ici à la fin de l’année », indique Jan Stejskal, du zoo tchèque de Dvur Kralove. Najin et Fatu sont nées en 1989 et 2000 dans ce parc qui avait tenté en vain des inséminations artificielles, avant de les envoyer au Kenya dans l’espoir, déçu, d’une reproduction naturelle.
Tenter de produire des gamètes
Pourquoi n’ont-ils pas prélevé plus tôt leurs ovocytes pour créer directement un embryon de rhinocéros blanc du Nord ? Ils attendent une autorisation des autorités kényanes pour cette intervention délicate. Ils ont également dû inventer et développer ces deux dernières années une technique et un ustensile de deux mètres de long pour prélever des ovocytes de rhinocéros blancs à l’anatomie particulière, explique Thomas Hildebrandt.
En parallèle, au cas où les ovocytes de Najin et Fatu ne puissent être prélevés, et pour assurer une diversité génétique des futurs petits, d’autres expériences sont en cours pour tenter de produire des gamètes (ovocytes et sperme) de rhinocéros blancs du Nord grâce à des cellules-souches pluripotentes induites, qui ont le potentiel de se transformer en n’importe quelle cellule.
Mais « il reste improbable qu’une population viable de rhinocéros blancs du Nord soit restaurée », tempèrent Terri Roth et William Swanson, du centre de recherche du zoo de Cincinnati, qui n’ont pas participé à l’étude. « Des résultats impressionnants dans une boîte de Pétri ne se traduisent pas facilement en un troupeau de petits en bonne santé », ajoutent-ils.
Les auteurs de l’étude répondent déjà aux voix qui s’élèveront contre les sommes dépensées dans ces biotechnologies. Pour Jan Stejskal, le combat doit se mener sur tous les fronts : « Conservation sur le terrain, lutte contre la demande [de cornes] en Asie et soutien à la science ». Avec l’espoir, un jour, de voir les rhinocéros blancs du Nord « de nouveau à l’état sauvage ».