Christopher Froome lors d’un entraînement de l’équipe Sky à Saint-Mars-la-Réorthe (Vendée), vendredi 6 juillet 2018. / PHILIPPE LOPEZ / AFP

Si Christopher Froome attendait des marques de compassion de la part de ses adversaires, après être sorti de ce qu’il a décrit comme un long cauchemar de neuf mois, « le plus grand défi de [sa] carrière », il a dû être déçu en lisant les comptes-rendus de leurs conférences de presse, données un peu partout en Vendée depuis le mercredi 4 juillet.

L’heure semble davantage, pour le moment, à la colère dirigée contre le code mondial antidopage, bafoué par son propre régulateur, l’Agence mondiale antidopage (AMA), dans sa décision sur le contrôle anormal de Christopher Froome. Alors que la seule solution proposée par le code pour échapper à une sanction était de pratiquer une étude pharmacocinétique, le Britannique a été blanchi sans participer à une telle étude.

« Je n’ai plus de doute, je ne crois plus en l’AMA », a pesté Marc Madiot, manager de l’équipe Groupama-FDJ. Romain Bardet, de son côté, a regretté le peu d’éléments à disposition du public, « la permissivité de certains règlements » et, de manière générale, « une grande opacité ». Si le docteur Olivier Rabin, directeur scientifique de l’instance régulatrice de la lutte antidopage, a globalement justifié la décision dans de nombreuses interviews, un grand flou demeure sur les arguments qui ont pu convaincre les experts. Qu’est-ce qui a fait céder l’AMA, qui se disait pourtant convaincue de la solidité de sa règle et l’avait d’ailleurs défendue avec succès devant le Tribunal arbitral du sport à plusieurs reprises ?

Pas de « scénario de dopage »

Seule la publication de l’argumentaire fourni par l’AMA à l’Union cycliste internationale (UCI) permettrait de le savoir. Mais depuis son communiqué innocentant Christopher Froome, le président de l’UCI, David Lappartient, s’est fait remarquablement discret, n’apparaissant que dans une vidéo tournée par son service de communication. Selon les informations du Monde, trois éléments principaux ont joué en faveur de l’athlète.

En reconstituant l’évolution des concentrations de salbutamol dans l’urine de Froome tout au long du Tour d’Espagne, les scientifiques à son service ont constaté que la concentration dans l’urine correspondait rarement à sa prise de salbutamol après l’étape. Notamment la veille de son contrôle anormal, lorsque sa concentration de salbutamol était proche de zéro alors qu’il venait de prendre 10 bouffées de Ventoline pour calmer une crise d’asthme. C’est le lendemain qu’il aurait rejeté, d’un seul coup, tout le salbutamol emmagasiné dans son organisme.

Ensuite, le témoignage du chercheur australien Kenneth Fitch a pesé lourd : après avoir contribué à fixer le seuil limite du salbutamol, il a affirmé que cette règle n’était pas valable pour les athlètes effectuant des efforts répétés.

Enfin, la Sky a affirmé qu’il n’y avait pas de « scénario de dopage » au salbutamol plausible qui corresponde à la situation. La question, en effet, taraudait tous les experts de l’antidopage, qui peinaient à comprendre pourquoi Chris Froome se serait aventuré à prendre du salbutamol en cachets en plein Tour d’Espagne, sur un seul jour, en sachant qu’il serait contrôlé le soir même.

Déconstruire l’image de la Sky

Ces trois éléments clés de la synthèse de défense scientifique – un dossier gros d’environ 160 pages selon nos informations – ont emporté la décision. Jusqu’alors, l’équipe britannique renâcle à publier ce document, alors que Christopher Froome avait, dans un premier temps, assuré que toutes les données de sa défense seraient mises sur la place publique dans l’espoir que les gens « comprennent sa décision de continuer à courir ».

Là encore, le manager du Team Sky, Dave Brailsford, a rejeté la responsabilité de la publication sur les deux institutions. « Il n’y a pas un document en tant que tel qui puisse être publié. Il y a plusieurs éléments différents, dont certains seront mis sur la place publique », s’est hasardé le Gallois en conférence de presse, mercredi 4 juillet.

D’ores et déjà, le Team Sky s’essaye à réécrire l’histoire de ce contrôle anormal en évoquant un « résultat d’analyse anormal présumé », une notion qui n’existe pas (Froome a bien rendu un résultat d’analyse anormal, qui ne s’est pas transformé en infraction), ou en contestant que la concentration de salbutamol ait été deux fois supérieure à la limite autorisée. L’équipe Sky assure en effet que la concentration de salbutamol était supérieure de seulement 19 % à la limite. Une affirmation erronée, pour deux raisons : d’abord, Sky applique dans ce cas la correction de la gravité spécifique, ramenant ainsi les 2 000 nanogrammes (ng) par millilitre de Christopher Froome à 1 429 ng, alors que cette règle n’était pas en vigueur au moment du contrôle anormal. Ensuite, elle fixe la limite autorisée à 1 200 ng, alors qu’il s’agit en réalité de la zone de tolérance : la limite, en réalité, est bien fixée à 1 000 ng par millilitre.

L’équipe s’emploie aussi à démentir le chiffre, publié au printemps par le quotidien italien La Stampa, d’une défense coûtant 7 millions d’euros. En réalité, la note serait bien à sept chiffres, mais nettement inférieure à 2 millions d’euros. Une façon pour elle de déconstruire l’image, fortement ancrée dans le peloton, d’une équipe dont le succès tient beaucoup à sa force de frappe financière.