La gastronomie africaine fait son festival
La gastronomie africaine fait son festival
Par Audrey Parmentier
Seize chefs entendent démonter samedi, lors de la première édition de « We eat Africa », les préjugés dont souffrent les mets du continent.
Dix femmes pour six hommes. Pour une fois, la parité n’est pas respectée mais personne ne s’en plaint. Samedi 7 juillet, seize chefs africains ou afro-descendants participeront à la première édition du festival « We eat Africa ». Leur ambition : bousculer les clichés qui collent aux cuisines du continent.
Conférences, ateliers et rencontres serviront de plats de résistance. Autour de la table, installée à Boulogne-Billancourt, plusieurs thèmes seront abordés : la cuisine fusion ou traditionnelle, l’intégration des épices et aliments oubliés, ou encore l’idée de la transmission.
La responsable des agapes, Anto Cocagne, est chef à domicile à Paris et assure en parallèle la rédaction en chef du magazine Afro cooking, partenaire du festival. Mais ce n’est pas assez pour la jeune femme d’origine gabonaise. En juillet 2017, « le chef Anto » et son équipe ont animé un atelier sur les cuisines africaines aux Galeries Lafayette. « A ce moment-là, nous avons senti l’appétence des gens autour du sujet », confie-t-elle. Le projet « We eat Africa » était né.
Quelques coups de fil plus tard, quinze chefs d’origine africaine répondaient à l’invitation. Parmi les têtes d’affiche, il y a Christian Abégan, présentateur vedette de Star chef, un programme de divertissement culinaire au Cameroun. « C’est un peu notre papa à tous », commente Anto Cocagne. Dans la même catégorie, Alexandre Bella Ola, Camerounais lui aussi, est propriétaire de deux restaurants, le Rio dos camaraos et le Moussa l’Africain, situés à Montreuil et à Paris.
« Trop grasse ou trop épicée »
Samedi, les cuisines de douze pays seront à l’honneur : Maroc, Cameroun, Sénégal, Bénin, Nigeria ou encore Mozambique. Et le défi de faire découvrir leur culture culinaire est de taille.
La gastronomie du continent souffre encore de quiproquos. « Beaucoup de clients confondent pimenté et épicé, mais ce n’est pas la même chose. Les épices ne servent pas à maquiller la pauvreté d’une cuisine mais à la sublimer », explique Fatema Hal, la propriétaire du restaurant marocain Le Mansouria, à Paris.
Pour éviter la cuisine africaine, tous les prétextes sont bons : « elle est trop grasse ou trop épicée », « les restaurants africains sont situés dans des quartiers mal famés »… Anto Cocagne énumère ces excuses, un brin moqueuse avant de poser une colle : « Qui connaît la Black qwehli, la crevette bio originaire du Mozambique ? » Silence.
Si les mets africains restent méconnus, faut-il pour autant les adapter ? L’afro fusion, cuisine métissée, est au cœur du débat. Cette nouvelle tendance vise à mixer les saveurs africaines à celles d’une autre culture. Une façon aussi de rendre ces plats plus accessibles aux palais occidentaux.
S’adapter sans dénaturer
« La cuisine c’est comme un langage, elle a besoin d’être comprise », explique le chef Anto avant que Nathalie Schermann, chef d’origine congolaise, ne prenne la parole. « Mon père m’a toujours dit : quand tu arrives dans un pays, il faut s’adapter. Si les gens marchent sur une jambe, tu fais pareil. Par exemple, un Africain ne mangera pas une chikwangue [bâton de manioc consommé en Afrique centrale] si elle n’a pas l’odeur d’origine mais un Blanc ne la goûtera pas si elle sent trop fort. Il faut savoir attirer les deux. »
L’adapter oui, mais pas au risque de la dénaturer. Sourcils froncés, Fatema Hal, la marraine du festival, appelle à la prudence. « Je ne veux pas prostituer ma cuisine », déclare-t-elle presque agacée. Dans les années 1970, elle a quitté le Maroc pour rejoindre la France. Féministe, cette chef de 66 ans a rédigé une quinzaine d’ouvrages et reçu, en 2017, le prix François Rabelais pour l’ensemble de son œuvre. Une première pour une femme, qui « préfère être cuisinière plutôt que chef ».
Mannequin, ethnologue ou hôtelier, les chemins qu’ont empruntés ces seize chefs jusqu’aux cuisines sont remplis de virages. « J’étais mannequin à Tahiti puis mon mari a été expatrié en France. A l’époque, je le suivais partout comme un petit chat. Avant de me lancer dans la cuisine, ma passion », raconte Nathalie Schermann. Autodidacte, elle a lancé sa marque d’épicerie fine, en juin 2016, avec l’aide de sa fille. Sa crème de safou, un fruit qui rappelle la prune, a déjà été doublement médaillée au prix des Epicures et au Gourmet Sélection. Un succès.
Dans un monde culinaire accaparé par les hommes blancs, avec « une chef trois étoiles par siècle », le festival fait figure d’ovni. Tout comme la cuisine africaine en France. Du moins pour l’instant.