Le premier procès du Roundup démarre à San Francisco
Le premier procès du Roundup démarre à San Francisco
Le Monde.fr avec AFP
Atteint d’un cancer après avoir manipulé le pesticide de Monsanto, Dewayne Johnson poursuit la firme, qui risque des millions de dollars de dommages et intérêts.
Un champs de soja en Argentine, traité au Roundup de Monsanto, en février 2018. / PABLO AHARONIAN / AFP
Le Roundup est-il cancérigène ? Monsanto a-t-il volontairement caché la dangerosité de son désherbant au glyphosate ? Telles sont les questions qu’un tribunal états-unien va devoir examiner, à partir de lundi 9 juillet. Un tribunal de San Francisco avait été saisi par un particulier atteint d’un cancer en phase terminale.
Si des centaines, voire des milliers, de procédures sont en cours aux Etats-Unis contre le grand groupe d’agrochimie, la plainte de Dewayne Johnson, un Américain de 46 ans qui a vaporisé du Roundup pendant plus de deux ans, est la première concernant le produit et ses possibles effets cancérigènes à aboutir à un procès.
Le procès s’est officiellement ouvert à la mi-juin avec la désignation d’un juge, mais les débats de fond ne commencent que lundi, après une série d’audiences techniques. Il est prévu pour durer au moins trois semaines à San Francisco.
Plusieurs millions de dollars
Commercialisé depuis plus de quarante ans, le Roundup, l’un des herbicides les plus utilisés au monde, contient du glyphosate, une substance très controversée et qui fait l’objet d’études scientifiques contradictoires quant à son caractère cancérigène. Monsanto, qui risque des millions de dollars de dommages et intérêts dans ce seul dossier, a toujours fermement réfuté tout lien entre cancer et glyphosate.
Dewayne Johnson, dont les lésions couvrent 80 % de son corps, « se bat pour sa vie » après avoir été diagnostiqué il y a deux ans d’un lymphome non hodgkinien, incurable, explique David Dickens, l’un de ses avocats du cabinet Miller, spécialisé dans la défense de particuliers s’estimant victimes de produits défectueux. L’oncologue qui suit M. Johnson lui a donné six mois à vivre après sa chimiothérapie.
Employé de 2012 à 2014 à l’entretien des jardins du district scolaire de Benicia, une localité située à 65 km à l’est de San Francisco, il a mélangé et répandu des centaines de litres de Roundup, le célèbre herbicide de Monsanto, deux fois par mois. « Ce n’est pas la faute à pas de chance », ce n’est pas dû à un problème « génétique », « c’est à cause de son exposition continue au Roundup et au Ranger Pro » (produit similaire de Monsanto), assure Me Dickens.
« Et cela aurait pu être évité », assène encore l’avocat, accusant Monsanto, qui vient d’être racheté par l’allemand Bayer, d’avoir sciemment caché au public la dangerosité de ses produits. Les avocats de M. Johnson n’ont pas encore fixé les sommes qu’ils comptent demander, mais évoquent un « jugement à plusieurs millions de dollars ».
Partie difficile
Mais la partie ne sera pas aisée pour Dewayne Johnson, dont les avocats devront prouver un lien entre sa maladie, qui lui cause de nombreuses lésions cutanées sur le corps, et l’épandage de glyphosate. La question est « est-ce que l’exposition de M. Johnson au glyphosate a provoqué son cancer ? (…) Cela n’a pas causé son cancer », affirme Sandra Edwards, du cabinet Farrella Braun & Martel, l’une des avocates de Monsanto.
Pendant ce procès, « vous verrez beaucoup de données et de science », relève-t-elle aussi, soulignant qu’il y a eu « des études qui ont suivi pendant des années et des années des gens qui ont utilisé ces produits », sans conclure qu’ils provoquaient des cancers. Dans son argumentaire pour la cour, Monsanto ajoute une seconde ligne de défense : dans le cas du jardinier, les délais sont trop courts entre l’exposition au produit et le développement de la maladie pour attester d’un quelconque lien.
« Si M. Johnson gagne ce procès, ce sera un énorme coup porté à l’industrie des pesticides toute entière », affirme Linda Wells, du réseau international d’ONG contre les pesticides Pesticide Action Network North America.
Bataille d’experts
Le dossier est d’autant plus complexe qu’il existe nombre d’études et de décisions contradictoires sur le glyphosate. La firme se prépare donc à une bataille d’experts.
Contrairement à l’Agence fédérale américaine de protection de l’environnement (EPA), la Californie a placé le glyphosate sur la liste des produits cancérigènes. Et dans cet Etat, tout fabricant ayant connaissance du caractère cancérigène certain ou suspecté d’un produit doit obligatoirement le faire figurer sur l’emballage.
Le glyphosate est également classé « cancérigène probable » depuis 2015 par le Centre international de recherche sur le cancer, un organe de l’Organisation mondiale de la santé, contrairement aux agences européennes, l’EFSA (sécurité des aliments) et l’ECHA (produits chimiques).
Le glyphosate fait particulièrement polémique en Europe. Après la décision de l’Union européenne en novembre de renouveler la licence de l’herbicide pour cinq ans, le gouvernement français s’est engagé à cesser d’utiliser cette substance pour les principaux usages d’ici à trois ans.