Quel beau pays. / Peter Dejong / AP

En marge de la compétition qui met aux prises des cyclistes tâchant de parcourir 3 351 kilomètres plus vite que les autres, le Tour de France 2018 est en train de devenir le théâtre d’une compétition annexe entre habitants des villes étapes : c’est à ceux qui hueront (indicatif futur, assez rarement employé avec ce verbe, je vous l’accorde) Chris Froome le plus fort.

« Ouuuuh ! », jeudi à La Roche-sur-Yon, lors de la présentation des équipes. Encore « ouuuuh ! », samedi à Noirmoutier, lors du coup d’envoi du Tour. Toujours « ouuuuh ! », hier à Mouilleron-Saint-Germain, au départ de la deuxième étape.

Ce curieux cirque peut-il durer jusqu’à Paris ? Les Vendéens n’auront pas loupé le quadruple vainqueur du Tour, sans que l’on sache si leur bruyante rancœur était sincère et spontanée, où si elle relevait d’une forme de folklore moutonnier : on hue parce que c’est rigolo de huer, et parce que ceux de la veille ont hué.

La troisième étape, aujourd’hui, fournit une belle occasion de mesurer l’influence de la ministre des sports, Laura Flessel, qui avait mal révisé son texte au moment de lancer, hier sur Franceinfo, un vibrant appel à respecter tous les « joueurs » qui sont sur la « piste »...

(On n’est pas loin de Claude Bernard Filoucelli, à qui l’on demande s’il a été footballeur, et qui répond : « J’étais talonneur, et croyez-moi qu’à l’époque, j’hésitais pas à monter au filet. » Mais passons.)

Et si l’ennemi de Froome venait de l’intérieur ?

C’est une piste de 35 kilomètres qui attend les joueurs cet après-midi, lesquels, après le Tour de Vendée ce week-end, et avant d’entamer le Tour de Bretagne demain, vont faire le Tour de Cholet, en roulant contre la montre, et par équipes. Un « Tititi », disent les anglophones (TTT, team time trial).

Ce chrono, très technique et tout en changements de rythme, devrait permettre à des leaders piégés avant-hier de récupérer quelques dizaines de secondes sur leurs rivaux passés entre les gouttes. Ainsi de Richie Porte et Chris Froome, qui accusent 51 secondes de retard sur Bardet, Nibali, Uran ou Landa, mais courent dans des équipes a priori plus à l’aise dans l’exercice du jour – le premier du genre depuis 2015, alors qu’il fut un temps, au siècle dernier, où la quasi-totalité des étapes du Tour étaient des tititis.

Avec cinq champions ou ex-champions nationaux du contre-la-montre (seuls Poels, Rowe et Froome ne l’ont jamais été dans leur pays), l’équipe Sky a de bonnes chances de frapper fort, même si, depuis sa chute qui l’a « un peu égratigné », « ce n’est pas comme si [Chris Froome] était à 100 % », dit son directeur sportif Nicolas Portal. « On a reconnu trois fois le chrono, ils l’ont bien en tête. C’est un joli chrono, très rapide, avec des parties en faux plat descendant où, rien qu’à l’entraînement, ils étaient à 84 ou 85 km/h », ce qui est en théorie illégal depuis le 1er juillet sur les routes secondaires à double sens sans séparateur central, mais bon.

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Curiosité, hier : Geraint Thomas, coéquipier de Froome, a sprinté pour grappiller une seconde de bonification qui le place en position idéale pour se saisir du maillot jaune cet après-midi. « Personne ne semblait vouloir y aller alors j’ai dit c’est pour moi. On ne va pas laisser une seconde comme ça », a expliqué le Gallois, qui a un profil de vainqueur potentiel du Tour, et dont on se demande quelle sera son attitude vis-a-vis du leader de son équipe s’il abordait la montagne dans la peau de celui du général, dans une semaine. Il n’y a peut-être pas qu’au bord des routes ou parmi les autres équipes que Chris Froome compte des adversaires.

À PART ÇA, en plus d’être Maillot jaune, Peter Sagan est un chic type.

Et si vous avez une minute quarante-cinq à perdre, vous pouvez la perdre en regardant Fernando Gaviria, premier Maillot jaune du Tour, faire ses courses au rayon fruits et légumes.

Premier départ (Mitchelton-Scott) à 15 h 10. Dernier départ (Bora-Hansgrohe) à 16 h 55. Départ des Sky à 15 h 15. Départ des AG2R à 15 h 45.

Le Tour du comptoir : Mouilleron-Saint-Germain

Chaque matin pendant le Tour, En Danseuse vous envoie une carte postale depuis le comptoir d’un établissement de la ville départ de la veille.

Où l’on rencontre les dignes héritiers de Clemenceau.

C’est presque trop beau pour être vrai. On arrive à Mouilleron-Saint-Germain, lieu de naissance de Georges Clemenceau, et on tombe sur les deux plus belles moustaches de Vendée : Maurice et René, deux frères pas jumeaux, sauf au niveau facialo-pileux.

Maurice (en blanc) et René (en noir, par conséquent).

« Ce n’est pas un hommage », assurent-ils, debout à la terrasse du café Le Tigre – un hommage, pour le coup. A Clemenceau, et non à Falcao, le footballeur colombien de l’AS Monaco également surnommé ainsi, qui a marqué nettement plus de buts dans sa carrière que l’ancien président du Conseil (293 contre 0), mais a remporté beaucoup moins de guerres mondiales (0 contre 1).

La caravane publicitaire est passée, Maurice et René grignotent des mini-cuisses de poulet offertes par un sponsor du Tour (quelqu’un sait-il sur quel genre de volaille on prélève ces pilons miniatures ?). « Là, on mange, mais si vous saviez ce qu’on a bu… » Les Vendéens aimant enseigner leur langue aux touristes – on l’avait déjà constaté la veille à Noirmoutier –, nous apprenons comment prévenir l’assistance qu’on a un peu trop picolé : « Je suis bardé ! »

(Respecter la loi Evin dans cette chronique est un défi perdu d’avance. Pour compenser, rappelons ici que l’alcool est dangereux pour la santé, et qu’il est à consommer avec modération. Par ailleurs, évitez de grignoter entre les repas. Et surtout, ne courez pas à côté des coureurs).

Dans la bande du Tigre, Michel Batiot est le seul natif de Mouilleron-Saint-Germain (qui s’appelait encore Mouilleron-en-Pareds avant de fusionner avec Saint-Germain-L’Aiguiller il y a deux ans), et il vit à Rives-de-L’Yon (qui s’appelait encore Saint-Florent-des-Bois avant de fusionner avec Chaillé-sous-les-Ormeaux il y a deux ans, vous suivez ?). Il nous révèle cette plaisanterie typiquement locale : « Pour s’amuser, on aime dire aux touristes que, dans la commune, il y a trois grands hommes : Clemenceau, De Lattre de Tassigny [aussi né ici], et pour le troisième, on dit son propre nom de famille. » Blague, nous explique-t-il, qui fonctionne particulièrement bien avec le sien (Batiot = bâti haut = grand homme).

Steph (à droite) et Mac (à gauche, par conséquent).

Devant le Tigre, à quelques mètres de nos frères moustachus, on a croisé Steph (maillot jaune) et Mac (maillot blanc du meilleur jeune), deux Anglais ayant une maison en Ille-et-Vilaine venus retrouver un autre couple anglais ayant une maison en Vendée, pour soutenir un dernier Anglais ayant une maison à Monaco, Chris Froome, à qui ils ne tiennent pas rigueur de son taux de salbutamol élevé : « Si vous avez de l’asthme et que vous ne prenez pas de Ventoline, vous mourez. »

A quelques hectomètres du Tigre, un autre bar : le Clemenceau (ci-dessous), avec une moustache dessinée sur la pancarte. Sans doute un hommage à Maurice et René.

On voit mal la moustache, mais elle se trouve sur le panneau blanc au centre de la photo.