A Montréal, on lutte contre la pauvreté à coup de « briques » citoyennes
A Montréal, on lutte contre la pauvreté à coup de « briques » citoyennes
Par Anne Pélouas (Montréal, correspondance)
Brique par brique développe, à Montréal, un projet novateur d’habitat pour des personnes à faible revenu, financé par des obligations communautaires. L’entreprise sociale a reçu le Grand Prix international « Le Monde »-Smart Cities.
Une manifestation contre la spéculation immobilière dans le quartier Parc-Extension, à Montréal. / BRIQUE PAR BRIQUE
L’immeuble en briques blanches de douze petits appartements, situé rue Ogilvy, dans le quartier Parc-Extension, dans le nord de Montréal, est en piteux état. « Les fenêtres sont très abîmées et les logements insalubres », constate Faiz Abhuani, directeur de l’entreprise sociale Brique par brique. « C’est le type de bâtiment que nous voulons acheter et rénover pour offrir des logements à des gens à faible revenu », explique l’homme qui a roulé sa bosse comme gestionnaire de projets sociaux à Montréal depuis quinze ans.
Brique par brique veut faire de l’habitation abordable pour personnes marginalisées « un levier de lutte contre la pauvreté et de changement social », en misant sur la solidarité. Pour cela, elle fait appel à des investisseurs qui partagent ses valeurs. « Nous voulons leur offrir une occasion de diversifier leurs portefeuilles avec un produit de placement concurrentiel. »
Inspiré du Toronto Center for Social Innovations, Brique par brique émet des « obligations communautaires » qui servent au démarrage du projet et à la constitution d’une mise de fonds, nécessaire pour obtenir un prêt immobilier auprès de son partenaire financier, la Caisse d’économie solidaire Desjardins. L’objectif est de rassembler 500 000 dollars canadiens (322 000 euros). En six mois, 300 000 dollars (193 000 euros) ont déjà été collectés.
Réservées aux organismes à but non lucratif, ces obligations sont des titres de créance, à échéance de quinze ou trente ans, avec taux d’intérêt variant de 2 % à 5 %. Les investisseurs ne deviennent pas propriétaires de l’immeuble, qui appartient collectivement aux membres résidents ou sympathisants.
« Notre modèle s’inspire de celui des investissements à impact social qui connaissent beaucoup d’engouement », ajoute le directeur de Brique par brique. Dans ce cas, il permet d’utiliser les forces du marché immobilier, avec des armes de financement similaire, mais au profit d’un projet social.
Lutter contre la spéculation immobilière
L’idée première est de pas faire rimer l’embourgeoisement du quartier Parc-Extension avec l’éviction des plus fragiles. Ce quartier, l’un des plus multiethniques de Montréal, est coincé entre une autoroute urbaine, le quartier résidentiel chic de Ville Mont-Royal et un nouveau campus universitaire. Quelque 60 % de la population y vit sous le seuil de la pauvreté, dans des logements souvent insalubres, soit deux fois plus que la moyenne montréalaise. Les trois quarts n’ont ni le français ni l’anglais comme langue maternelle. Ils parlent 46 langues et viennent du Bangladesh, d’Inde, d’Afrique, des Caraïbes, de Grèce ou d’Amérique du Sud.
Le bailleur social Hapopex gère 400 logements sociaux dans ce quartier, alors que les besoins sont criants. La pression immobilière s’illustre de plus en plus dans le sud de ce quartier où l’université de Montréal construit son nouveau campus, qui accueillera 10 000 étudiants. Le pavillon des sciences ouvrira dès la rentrée prochaine.
Ce plan de développement a aiguisé l’appétit des promoteurs immobiliers. « Ils achètent des maisons, des immeubles, évincent les locataires, rénovent et louent à grands prix », note Faiz Abhuani. La physionomie des rues alentour change, et là comme ailleurs dans le quartier, on pousse les plus pauvres à quitter leurs logements pour la périphérie de Montréal. « Les immigrants s’éparpillent, ajoute-il, et perdent des liens précieux avec leurs communautés d’origine. » C’est pour contrer cette situation que Brique par brique est née.
Si son projet progresse coté financement, il lui reste encore à trouver le bâti à rénover. L’immeuble de la rue Ogilvy, acquis par un promoteur immobilier, lui a échappé. « Il est habité, sans bail, par des personnes à risque d’itinérance, des réfugiés et des personnes âgées isolées. Nous aurions gardé les locataires alors que le nouveau propriétaire va sûrement les évincer, rénover le tout et hausser les loyers », déplore Faiz Abhuani.
Mais l’entreprise sociale ne désespère pas de trouver l’immeuble de ses rêves, « un 10 à 12 logements à rénover, si possible avec un grand garage transformable en espace communautaire, avec éventuellement un service de garde pour les enfants, décrit Faiz Abhuani. On commence petit mais on voit grand. » A terme, Brique à brique vise en effet à utiliser cet actif pour développer un deuxième projet immobilier d’ici six à sept ans. Une belle occasion de profiter de la spéculation immobilière plutôt que de la subir.
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