« Boris Johnson n’a pas su montrer le moindre leadership »
« Boris Johnson n’a pas su montrer le moindre leadership »
Lors d’un tchat, le correspondant du « Monde » Philippe Bernard a répondu aux questions sur la démission du ministre britannique des affaires étrangères.
A Londres, le 23 juin. / Henry Nicholls / REUTERS
Lors d’un tchat, Philippe Bernard, correspondant du Monde à Londres, a répondu aux questions des internautes sur les conséquences de la démission de Boris Johnson du ministère des affaires étrangères.
Un œil : Bonjour. Un abandon du processus du Brexit est-il possible ? Si oui, quelle serait la voie la plus probable : élections législatives, deuxième référendum, « simple » changement de premier ministre ?
Philippe Bernard : Il n’en est nullement question pour le moment, et la crise gouvernementale actuelle n’y change rien. Après deux ans de tergiversations, elle dote enfin le gouvernement britannique d’une vision pour ses futures relations avec l’Union européenne. Les choses peuvent changer dans différents cas de figure : si le Parlement britannique rejetait le futur contrat de divorce ou si les « rebelles » europhobes obtenaient et remportaient un vote de défiance contre Theresa May. Mais son renversement ne provoquerait pas automatiquement de nouvelles élections. Un premier ministre conservateur partisan d’un Brexit dur pourrait lui succéder. Et même si des élections avaient lieu et étaient remportées par le Labour – ce que les sondages n’indiquent pas –, ce dernier a une position sur le Brexit qui ressemble comme deux gouttes d’eau à celle de Mme May. Le scénario qui répond au plus près à votre question serait un clash dans les négociations avec Bruxelles et une absence d’accord qui précipiterait le Royaume-Uni – et le continent, dans une moindre mesure – dans une grave crise économique. Ça n’est pas totalement exclu, étant donné le retard pris dans les négociations et le fossé qui reste béant entre Londres et les Vingt-Sept.
Bruno : Que va devenir Johnson ? A-t-il des ambitions ?
Ph. B. : En 2016, il a fait campagne pour le Brexit en pensant perdre. Lorsque la victoire est arrivée, il n’a pas assumé ses responsabilités et a refusé de devenir premier ministre. Aujourd’hui, son heure semble passée, même si ses immenses ambitions restent probablement intactes. Il a été un exécrable ministre des affaires étrangères, absent de la plupart des grands dossiers du monde et abonné aux gaffes. Lui qui prône une « Grande-Bretagne mondiale » après le Brexit n’a pas su montrer le moindre leadership. Aujourd’hui, 48 % des conservateurs eux-mêmes estiment qu’il ferait un « mauvais leader ». Mais il va retourner au Parlement comme simple député et peut prendre la tête d’une fronde anti-May, surtout si les négociations avec Bruxelles échouent.
321 : Quelles ont été les réactions au sein de l’UE ?
Ph. B. : Les Européens sont effarés et las du chaos gouvernemental britannique. Le fait que Theresa May semble être parvenue à un compromis au sein de son propre gouvernement donne enfin une base à peu près claire de négociations. Mais le retard pris inquiète Bruxelles et les milieux d’affaires continentaux. Hier, Donald Tusk, le président du Conseil européen, a semblé caresser l’idée d’une renonciation de Londres au Brexit : « Je ne peux que regretter que l’idée du Brexit n’ait pas été abandonnée avec Davis et Johnson [les deux ministres pro-Brexit démissionnaires]. Mais… qui sait ? »
Politicians come and go but the problems they have created for people remain. I can only regret that the idea of… https://t.co/FUHWt8rnqJ
— eucopresident (@Donald Tusk)
Séb : Bonjour, est-ce que l’Europe accepterait un Brexit « mou » ? Michel Barnier et les Européens sont plutôt favorables à une rupture plus forte, non ?
Ph. B. : Non, je ne le pense pas. Une rupture forte signifierait la création, aux portes des Vingt-Sept, d’une sorte de Singapour européen, un pays pratiquant le dumping social, fiscal et environnemental, autrement dit un cauchemar pour l’UE. Le maintien de liens forts avec l’UE, et notamment du marché unique avec les Britanniques pour les marchandises, est désormais ce que réclame Mme May. Mais ses propositions, qui reviennent encore à « avoir le beurre et l’argent du beurre », sont loin d’être acceptées à Bruxelles.
Aurélien Lévêque : Vu la difficulté pour réaliser le Brexit, y a-t-il quelqu’un ou une force politique qui milite pour le maintien au sein de l’UE du Royaume Uni ? Ou du moins pour un nouveau référendum ?
Ph. B. : Beaucoup de Britanniques qui ont voté pour rester dans l’UE – ils sont quand même 48 % – se sentent orphelins de ce point de vue-là. Seuls le petit Parti libéral-démocrate et les minuscules Verts militent ouvertement pour un nouveau référendum et pour le maintien dans l’UE. Le Labour, pour ne pas s’aliéner ses électeurs des quartiers populaires qui ont voté pour le Brexit, défend une position très prudente et floue. Les travaillistes ne remettent pas en cause le Brexit mais ils veulent rester dans « une union douanière ». C’est à peu près, désormais, la position de Mme May. 100 000 manifestants proeuropéens ont défilé à Londres pour le deuxième anniversaire du référendum. Beaucoup chantaient : « Où est Jeremy Corbyn ? ». Plutôt que de marcher à leurs côtés, le leader travailliste avait préféré ce jour-là visiter un camp de réfugiés palestiniens en Jordanie.
Mat From London : Pensez-vous que MM. Jonhson et Davis quittent le gouvernement pour refaire le coup de Trafalgar que John Major avait fait à Margaret Thatcher, c’est-à-dire un coup d’Etat interne ?
Ph. B. : Cette intention lui est prêtée. Il peut effectivement attendre que les incompatibilités entre la position de Theresa May et celle de l’UE éclatent et que cela aboutisse à l’impasse et au chaos. Mais son bilan au Foreign Office ne plaide pas en sa faveur, et son étoile pâlit chez les conservateurs eux-mêmes. Nombre d’élus conservateurs considèrent qu’il ridiculise et affaiblit le pays.
Paul B : Quels seraient les inconvénients du « no deal » pour l’UE ?
Ph.B. : Le marché britannique absorbe 17 % des exportations globales des vingt-sept pays de l’UE, mais cette proportion est supérieure dans certains pays comme l’Allemagne et la France. Le choc économique serait brutal. La région des Hauts-de-France est d’ailleurs très inquiète à ce sujet. L’absence d’un accord sur la gestion des frontières, voire le retour des droits de douane, provoquerait d’immenses bouchons de camions à Calais et à Douvres.
Renaud : La frontière avec l’Irlande du Nord constitue-t-elle un point de blocage impossible à résoudre sans casse ? La solution, quelle qu’elle soit, peut-elle provoquer une résurgence de la guerre civile nord-irlandaise ?
Ph. B. : C’est en effet le point crucial. La nouvelle position de Theresa May, favorable au maintien dans le marché unique pour les marchandises – et non pour les services – répond d’abord à l’exigence d’un non-retour de la frontière entre les deux Irlandes. Les Britanniques ont longtemps négligé cette question, mais la forte solidarité des Vingt-Sept avec Dublin les a conduits à la prendre très au sérieux. La nécessité de ne rien faire qui puisse conduire au retour de la violence – l’implantation de postes frontières par exemple – est unanimement reconnue. Le Brexit a une autre extraordinaire conséquence : il repose la question de la réunification de l’Irlande et en accélère probablement le processus.
Ben : Comment Michel Barnier, qui n’a cessé de répéter que les quatre libertés de circulation – biens, services, personnes et capitaux – étaient indissociables, pourrait-il accepter la proposition britannique qui consiste à garder la libre circulation des biens en refusant celle des personnes ?
Ph.B. : Ce point du « plan May » contrevient directement au principe de l’unité du marché intérieur européen et il risque de ne « pas passer ». Mais il s’agit d’une négociation, et l’intérêt des Vingt-Sept n’est pas forcément d’aggraver la crise politique britannique et d’abandonner Mme May en rase campagne. Sa proposition se veut habile : les Vingt-Sept ont un large excédent commercial avec le Royaume-Uni en matière de marchandises, en particulier de produits agricoles. En revanche, les Britanniques veulent garder le droit de « diverger » en matière de services (finances, conseil, droits intellectuels, assurance, etc.), où ils bénéficient cette fois d’un excédent commercial. L’une des objections est que la dissociation entre biens et services est de moins en moins opérationnelle. Voir l’exemple des voitures, où la valeur des logiciels embarqués va de plus en plus prendre le pas sur la « carrosserie ».