Didier Deschamps, le 1er juillet à Istra (Russie). / FRANCK FIFE/AFP

C’est à croire que Didier Deschamps porte, au fil des décennies, les plus grands espoirs du football français sur ses épaules. Non content d’avoir soulevé la Coupe du monde en tant que capitaine et milieu de « devoir » des Bleus, un fameux soir de juillet 1998, voici qu’il s’avance en conquérant, vingt ans après, vers son objectif suprême : accrocher une deuxième étoile mondiale à sa veste.

Mais cette fois, c’est dans son costume cintré de sélectionneur de l’équipe de France qu’il entend, en Russie, ajouter un énième trophée à son impressionnante collection de récompenses. Et, ainsi, marcher dans les pas du Brésilien Mario Zagallo et ceux de l’Allemand Franz Beckenbauer, les deux seules légendes à avoir remporté la Coupe du monde comme joueur puis sélectionneur.

« Je ne sais pas jouer pour jouer, je joue pour gagner. » Tel est le mantra de cet insatiable compétiteur, élevé à l’école Bernard Tapie à l’Olympique de Marseille (1989-1994) et à celle, très exigeante, de la famille Agnelli à la Juventus Turin (1994-1999). C’est bien connu, Deschamps, 49 ans, hait la défaite comme la peste. Cette aversion, il la cultive depuis cette lugubre soirée de novembre 1993 et ce revers contre la Bulgarie, synonyme d’élimination sur la route du Mondial 1994.

« Comme sélectionneur, je suis resté comme j’étais dans ma première vie : je ne lâche rien jusqu’au coup de sifflet final »

« Comme sélectionneur, je suis resté comme j’étais dans ma première vie : je ne lâche rien jusqu’au coup de sifflet final, a confié Deschamps, vendredi 6 juillet, à Nijni Novgorod, après la victoire (2-0) contre l’Uruguay, en quarts de finale. Mes joueurs ont aussi ça en eux : ils sont généreux et ne rechignent pas à l’effort. » Avant d’affronter la Belgique en demi-finales, mardi 10 juillet, à Saint-Pétersbourg, ses protégés ont des trémolos dans la voix lorsqu’ils évoquent sa « culture de la gagne » et ses indéniables qualités de meneur d’hommes.

« Jouer sous ses ordres, c’est exceptionnel. Il donne des petits conseils qui permettent d’évoluer, assure le jeune défenseur droit Benjamin Pavard, l’une des révélations de ce Mondial russe. Il a des mots forts qui motivent, on est prêt à aller à la guerre avec lui ! » « C’est un compétiteur. Il effectue un gros travail tactique pendant ce Mondial, assure l’attaquant Olivier Giroud. Rien n’est laissé au hasard. Il donne des clés aux joueurs afin qu’ils sachent à quoi s’attendre selon l’adversaire. »

« L’unique décideur »

Pas question d’omettre un détail et de trébucher, comme ce fut le cas face à l’Allemagne (0-1), en quarts du Mondial brésilien, en 2014. Ou bien contre le Portugal (0-1 après prolongations) en finale de l’Euro 2016 – ce revers à domicile que Deschamps, de son propre aveu, n’a jamais « digéré ». Pour préparer minutieusement chaque échéance, il s’appuie, depuis son arrivée aux commandes des Bleus en 2012, sur un staff restreint et dévoué. Avec sa garde rapprochée, il décortique les matchs de ses adversaires lors de longues séances vidéo. Il écoute les avis, récolte les informations mais règne en maître.

« Je prends la place que Didier me donne, pas plus, pas moins », a coutume de répéter Guy Stéphan, son fidèle adjoint et homme lige depuis neuf ans. « Notre staff est lié de manière très forte, complémentaire, autour de Didier, avec Didier, pour Didier. Nous lui remontons les informations. Mais au final, il n’y a qu’une voix : celle du sélectionneur, l’unique décideur », confirme Franck Raviot, l’entraîneur des gardiens.

D’un pragmatisme à toute épreuve, Deschamps a souvent donné l’impression de naviguer à vue et de changer de schéma tactique selon l’adversaire. En Russie, il n’a pas hésité à modifier ses plans après la victoire inaugurale (2-1) face à l’Australie. En quête de la bonne formule, désireux de « muscler son équipe », il s’est remis en cause et a sorti du placard, contre le Pérou (1-0), ses grognards Olivier Giroud et Blaise Matuidi. Même le match nul (0-0) – aux allures de « purge » – concédé par ses protégés face au Danemark, ne l’a pas fait dévier de sa route.

Peu importe « l’identité de jeu », une notion toute relative à ses yeux, ou la dimension stylistique, voire esthétique, du football. Seule la victoire compte. Quitte à bluffer et à brouiller les pistes. L’ex-capitaine des Bleus (103 sélections, de 1989 à 2000), également vainqueur de l’Euro 2000, n’est jamais aussi à l’aise et enjoué qu’avant un match à élimination directe : ces duels et la tension qui les accompagne sont son carburant. On l’a vu danser au bord du précipice, en novembre 2013, contre l’Ukraine, en barrages pour le Mondial 2014. Comme à chaque fois dans pareille situation, il a su renverser la table (3-0, après une défaite 0-2 au match aller) pour composter son billet pour le Brésil.

Un tandem très soudé avec Noël Le Graët

A Kazan, samedi 30 juin, c’est avec le poing rageur qu’il a su apprécier la « montée en puissance » des Tricolores, tombeurs au forceps de l’Argentine de Lionel Messi, en huitièmes de finale. Ce jour-là, il sauvait clairement sa tête : une élimination prématurée l’aurait poussé, sans nul doute, à démissionner, alors que son contrat expire à l’Euro 2020. En hissant l’équipe de France en demi-finales de la Coupe du monde pour la sixième fois de son histoire, il a atteint l’objectif fixé par Noël Le Graët, président de la Fédération française de football (FFF).

« Didier fait bien son boulot, il répond tout le temps de façon très positive aux attentes », estime le dirigeant, qui forme avec son sélectionneur un tandem très soudé. Quelle qu’en soit l’issue, cette épopée russe aura permis à Deschamps de raffermir son pouvoir et de balayer les critiques. Lui qu’on disait en panne d’idées, peu inspiré et bientôt dans l’ombre du « recours » Zinédine Zidane, démissionnaire de son poste d’entraîneur au Real Madrid et perçu comme son successeur putatif. « Père la victoire » du foot français, sélectionneur le plus capé (81 matchs dirigés), Deschamps aura évité les embûches et balayé les critiques.

« Je suis heureux pour mes amis et ma famille, qui peuvent avoir des moments plus difficiles à vivre, apparemment », a réagi, ému, le sélectionneur des Bleus après la victoire contre l’Uruguay. Sans filtre, il savourait sa revanche, marqué par les attaques et insinuations sur les zones d’ombre de sa carrière de joueur, notamment pour des soupçons de dopage lors de son passage à la Juventus, comme lors de la diffusion en mai, sur France 2, du numéro de « Complément d’enquête » qui lui était consacré.

« Stop, tu fais chier et c’est tout »

Dans le huis clos du camp de base d’Istra, il n’a jamais autant manié la carotte et le bâton avec ses joueurs, en pâmoison devant son palmarès à rallonge et menés à la baguette. Depuis l’ouverture du tournoi, il distribue les bons et les mauvais points, n’hésite pas à donner quelques coups de griffes si nécessaire. Une façon de piquer au vif son effectif, ainsi maintenu sous pression. « Il y a encore quelques imperfections et du déchet technique, a-t-il ainsi déclaré avant la demie face à la Belgique. On peut parfois aller au bout d’une action mais on va rater la dernière passe, le geste technique. »

Le sélectionneur sait aussi se montrer plus autoritaire. On s’en est aperçu, en quarts, lors de l’échauffourée entre ses joueurs et la Celeste. Au bord du terrain, Deschamps a rapidement invité le milieu Paul Pogba, très remonté et sous la menace d’une suspension au tour suivant, à faire profil bas afin de « ne pas commettre l’irréparable ». Il a également sèchement recadré Kylian Mbappé, particulièrement énervé. « Stop, tu fais chier et c’est tout », a-t-il lâché à son buteur.

« Si je pouvais aligner les 23 joueurs, je le ferais »

En chef de meute, le technicien ne cesse, à l’inverse, de louer « l’état d’esprit » de son groupe et l’investissement au quotidien de ses remplaçants. « Si je pouvais aligner les 23 joueurs, je le ferais », martèle-t-il à longueur de conférences de presse, enclin à se muer en paratonnerre et à renvoyer les journalistes un peu trop pinailleurs dans leurs cordes. Il n’a d’ailleurs jamais l’air aussi heureux que lors des séances d’entraînement, sifflet au bec et chronomètre en main, sur la pelouse du petit stade de Glebovets, à Istra. Là, il chambre à tout-va, multiplie les passes en retrait et fait corps avec ses joueurs.

En Russie, au gré des victoires, Deschamps a retrouvé son mordant. « Tu vas encore me redemander si j’ai déjà réussi ma Coupe du monde ? », a-t-il interpellé un reporter, sitôt la qualification pour les demies acquise. En position de force, bien calé dans son fauteuil de sélectionneur, le voici paré à offrir au football français un deuxième sacre mondial et, ainsi, à parfaire sa légende.