Quim Torra et Pedro Sanchez, à Madrid, le 9 juillet 2018. / Andrea Comas / AP

Cela faisait deux ans que le président régional catalan n’avait pas été reçu par le chef du gouvernement espagnol dans sa résidence, le palais de la Moncloa, à Madrid. La dernière rencontre, en avril 2016, entre Carles Puigdemont et Mariano Rajoy, n’avait fait qu’entériner la rupture des relations entre les deux institutions, sur fond de menace de sécession unilatérale de la Catalogne. Lundi 9 juillet, l’indépendantiste Quim Torra et le socialiste Pedro Sanchez ont brisé la glace.

La réunion, convoquée à la demande du nouveau locataire de la Moncloa, a été exceptionnellement longue. Durant près de deux heures et demie, les deux hommes ont exposé chacun ses positions, divergentes, sur le conflit catalan. M. Torra a défendu le droit à l’autodétermination des Catalans. M. Sanchez lui a rappelé que ce droit n’existait pas dans la Constitution espagnole. Mais aucun des deux dirigeants politiques n’a claqué la porte.

Signe du dégel provoqué par l’arrivée au pouvoir de Pedro Sanchez, le 1er juin, ils se sont mis d’accord sur la remise en marche de la commission bilatérale de coordination entre les gouvernements espagnol et catalan, paralysée depuis 2011, et de commissions sectorielles chargées d’aborder le sujet des infrastructures, de la prise en charge des personnes dépendantes ou du financement régional.

M. Sanchez a aussi annoncé le retrait des recours déposés par le précédent gouvernement du Parti populaire (PP) devant le Tribunal constitutionnel contre plusieurs lois sociales catalanes portant sur la difficulté des foyers à payer leurs factures de chauffage, le changement climatique ou l’accès universel à la santé publique. Les deux hommes ont enfin décidé qu’ils se réuniraient à nouveau dans les prochains mois.

Quim Torra ne « renonce à aucune voie pour parvenir à l’indépendance », et « toutes les solutions passent par le droit à l’autodétermination »

La vice-présidente de l’exécutif, Carmen Calvo, qui est venue devant la presse à l’issue de la réunion, a insisté sur la « cordialité » de la rencontre et sur la volonté de M. Sanchez de donner une « réponse politique à une crise politique ». Elle a cependant souligné que, du fait de « l’indépendance du pouvoir judiciaire », il n’y a « pas de marge » de négociation possible sur le sujet de l’autodétermination, « qui n’existe dans aucune démocratie », ou sur le sort des dirigeants indépendantistes actuellement en prison préventive pour « rébellion », les deux principaux sujets abordés par M. Torra.

Lors d’une conférence de presse postérieure au centre Blanquerna, l’antenne du gouvernement catalan à Madrid, Quim Torra a tenté de contenter les deux courants de l’indépendantisme par un discours ambigu. S’adressant aux pragmatiques, qui défendent avant tout un changement de relation avec l’Espagne, il s’est félicité de pouvoir « parler de tout, de manière franche et sincère ». Aux indépendantistes radicaux, il a cependant déclaré qu’il ne « renon[çait] à aucune voie pour parvenir à l’indépendance », et que « toutes les solutions passent par le droit à l’autodétermination ».

Néanmoins, sa disposition à négocier avec Madrid d’autres questions que l’indépendance lui a valu des critiques des plus radicaux. Les Comités de défense de la République (CDR), organisations de quartiers qui ont mis sur pied des actions de rue, envisagent de demander sa démission : « Nous ne sommes pas là pour parler de statut d’autonomie. Nous ne sommes pas arrivés jusque-là pour jeter l’éponge », ont-ils publié sur Twitter.

Quant à la formation séparatiste d’extrême gauche CUP, elle a défini la réunion comme « un pacte entre des élites pour que rien ne change » et pour « fermer par le haut ce que les gens ont ouvert par la base le 1er octobre », date du référendum d’indépendance illégal organisé en 2017.

« Un chemin s’est ouvert »

Pedro Sanchez a, pour sa part, essuyé les critiques de la droite espagnole, qui l’accuse de chercher à « contenter les séparatistes » pour « payer l’addition » qu’il leur doit en raison du soutien des indépendantistes catalan à son investiture. Le PP et Ciudadanos lui avaient déjà reproché son premier geste de détente : la décision, le 4 juillet, de transférer les dirigeants indépendantistes jusque-là en prison à Madrid dans des établissements pénitentiaires de Catalogne.

« Avec le changement de gouvernement en Espagne, le secteur dur de l’indépendantisme a perdu des arguments, analyse Oriol Bertomeus, professeur de sciences politiques à l’université autonome de Barcelone. Après avoir demandé au gouvernement espagnol un dialogue, Quim Torra ne pouvait pas le refuser, même s’il garde une munition qui lui permettra de le faire dérailler s’il le souhaite : la demande d’un référendum. Un chemin s’est ouvert. Il peut aboutir, ou pas. »

Selon un sondage paru le 8 juillet dans le quotidien catalan El Periodico, seuls 21,5 % des Catalans pensent que la région doit « chercher l’indépendance pour construire la République », alors que 62 % demandent de « négocier une amélioration de l’autonomie ».

« La Gauche républicaine [ERC] et le Parti démocrate de Catalogne [PDeCAT] se montrent de plus en plus autonomes de Carles Puigdemont, qui n’est plus qu’une ombre en Catalogne, explique M. Bertomeus. La réunion s’adressait à ceux qui se trouvent dans le bloc indépendantiste mais désirent obliger le gouvernement espagnol à négocier une nouvelle relation avec la Catalogne. Torra sait que s’il perd ces gens, l’indépendantisme descendra sous la barre des 40 %. »