De Douala à Séoul, itinéraire d’une Franco-Camerounaise devenue chanteuse de pansori
De Douala à Séoul, itinéraire d’une Franco-Camerounaise devenue chanteuse de pansori
Par Myriam Lahouari
Née au Cameroun avant d’émigrer à Paris, Laure Mafo vit désormais en Corée du Sud. Elle y est l’une des rares étrangères à pratiquer le chant traditionnel.
Vêtue d’un hanbok, habit traditionnel coréen, Laure Mafo chante de sa voix pénétrante sous les percussions du janggu. Cette Franco-Camerounaise de 33 ans est un ovni en Corée du Sud.
Il faut dire que voir une étrangère interpréter un morceau du répertoire du pansori, un chant traditionnel coréen, surprend. Sa prestation le 31 mars au Palais de Gyeongbokgung, l’un des plus beaux de la capitale, a subjugué la foule.
Le public coréen, interloqué et fier, ne cesse de la complimenter et de l’encourager à chaque fin de concert : « Merci de vous intéresser à notre culture, j’espère que vous allez continuer comme ça », s’extasie un admirateur.
Son timbre puissant n’a pas échappé aux caméras de la chaîne publique coréenne KBS. Beaucoup de Coréens l’ont découverte dans « My Neighbor Charles », l’émission qui propose de suivre des étrangers vivant dans la péninsule.
Dans un restaurant situé à Yeouido, le quartier de l’Assemblée nationale, un cinquantenaire en costard-cravate reconnaît Laure qui y dîne et s’exclame : « Pansori ! J’ai vu l’émission, c’est super ce qu’elle fait ! » Le groupe qui accompagne le fan se transforme alors en groupies le temps d’une soirée et l’apprentie chanteuse se prête volontiers au jeu des selfies.
Poisson dans l’eau
C’est en 2015, au Centre culturel coréen de Paris, que Laure tombe sous le charme du pansori. Le déclic se produit avec la voix envoûtante de la chanteuse Min Hye-sung. « Elle a chanté un petit peu et je me suis dit “C’est quoi cette voix ? Mais comment peut-on faire ça juste avec sa voix ?” ». Son emballement la conduit deux ans plus tard à tout quitter pour s’installer à Séoul en vue d’y maîtriser cet art ancestral si complexe.
Il faut dire que cela fait bien longtemps que la Corée du Sud lui colle à la peau. Au siège français du conglomérat Samsung, où Laure Mafo a travaillé de 2012 à 2015, elle était déjà comme un poisson dans l’eau. Peut-être parce que l’ex-contrôleuse de gestion retrouvait un peu, dans la culture coréenne, des similitudes avec son pays natal : « Au Cameroun, quand un aîné sert la main, on doit la serrer avec les deux siennes, comme en Corée ! », explique-t-elle.
Les débuts à Séoul, où Laure s’est envolée en février 2017 grâce à la générosité de ses collègues de Samsung, furent pourtant laborieux. « Le problème de la langue, c’était assez frustrant », se remémore-t-elle en évoquant dans un éclat de rire ses erreurs du quotidien.
« La carie des os »
Depuis son arrivée dans la mégapole, Laure Mafo vit principalement sur ses économies mais ne regrette pas sa décision : « Maman dit toujours que le regret, c’est la carie des os ! Il vaut mieux essayer et se planter que regretter. » Visiblement, les bonnes fées veillent sur elle, comme ce couple, à la tête d’une fondation, qui a financé ses trois trimestres de cours de coréen à l’université après avoir découvert son histoire dans « My Neighbor Charles ».
Capture d'écran KBS
Car Laure Mafo a le don d’attirer la sympathie : « Elle reçoit et donne beaucoup. Elle créée facilement des liens », confirme son amie Leila Naslin, également basée à Séoul. Mais cela n’a pas toujours été simple. Encore récemment, elle n’osait pas prendre le bus et s’asseoir à côté de Coréens à cause des regards qui la dévisagaient. « Une amie coréenne m’a avoué qu’en trente et un ans, elle n’avait jamais vu de personne noire », raconte la jeune femme qui espère que « la présence d’un étranger à la télévision peut casser certaines barrières ».
Laure Mafo n’en est pas à son premier choc culturel. Sa famille, qui aspirait à une vie meilleure, avait quitté Douala, au Cameroun, pour rejoindre Paris lorsqu’elle n’avait que 10 ans. Forte de sa double culture, elle est aujourd’hui en voie d’en adopter une troisième. La jeune artiste, qui a décroché la troisième place dans deux concours de pansori, a déjà un nom coréen : So Yul, littéralement celle qui « transmet la musique ».