Le suisse Glencore soupçonné de corruption en Afrique par la justice américaine
Le suisse Glencore soupçonné de corruption en Afrique par la justice américaine
Par Jean-Michel Bezat
Le numéro un mondial du négoce des matières premières a annoncé, mercredi, la création d’un comité pour coopérer avec les réponses aux autorités judiciaires.
Ivan Glasenberg, patron de Glencore, à Zoug, en Suisse, le 2 mai. / Arnd Wiegmann / REUTERS
Le géant suisse Glencore l’assure : il montrera patte blanche. Assigné par le Département américain de la justice (DoJ) dans le cadre d’une vaste enquête pour corruption au Nigeria, au Venezuela et en République démocratique du Congo (RDC), le numéro un mondial du négoce des matières premières a annoncé, mercredi 11 juillet, l’installation d’un comité spécial.
Composé de trois administrateurs, il sera chargé de « superviser les réponses de la compagnie aux requêtes du DoJ ». Le président non exécutif de Glencore et membre du comité ad hoc, Tony Hayward, ancien PDG du groupe pétrolier BP, s’est engagé à « coopérer avec le DoJ ». L’enquête durera au moins deux ans, sans doute davantage.
Le groupe installé à Baar, dans le canton de Zoug, est de nouveau dans la tourmente. Mais pas pour des raisons économiques, comme en 2015. Il avait alors dû encaisser la forte baisse des cours, à cause de l’atonie de la demande chinoise en matières premières. Sa capitalisation s’était effondrée à la Bourse de Londres.
Les difficultés sont aujourd’hui judiciaires. En application de la loi sur les pratiques de corruption à l’étranger (Foreign Corrupt Practices Act), des juges fédéraux américains ont demandé à Glencore, le 3 juillet, de leur fournir de nombreux documents sur ses activités dans ces pays entre 2007 et aujourd’hui.
« Le groupe a commencé à agir comme s’il était intouchable »
Glencore est à la fois une compagnie minière, qui a racheté le suisse Xstrata en 2013, et le négociant de 90 matières premières, y compris agricoles. Cuivre, fer, zinc, cobalt, pétrole… peu de ces commodities lui échappent. Au cours des derniers mois, son parcours boursier a été beaucoup plus médiocre que celui de ses trois grands concurrents, BHP Billiton, Anglo American et Rio Tinto.
Des investisseurs redoutent que le groupe dirigé par le milliardaire d’origine sud-africaine Ivan Glasenberg soit exposé à de lourdes amendes, voire à des poursuites pénales. Pour le Nigeria et le Venezuela, il s’agit de négoce du pétrole ; pour la RDC, d’extraction de minerais (cuivre, cobalt).
Ce n’est pas la première fois que Glencore est mis en cause dans ce pays. Ses méthodes ont été pointées du doigt dans les « Paradise Papers », l’enquête menée par le consortium international des journalistes d’investigation, auquel Le Monde est associé. Un dirigeant d’un groupe concurrent, cité par le Financial Times, estime que, « ces dernières années, le groupe a commencé à agir comme s’il était intouchable ».
La justice helvétique a été saisie d’autres affaires en RDC par une ONG locale, Public Eye. La société est désormais dans la ligne de mire des Etats-Unis. D’autant que les Américains, par le biais du Département du Trésor cette fois, reprochent à M. Glasenberg de poursuivre ses activités avec un partenaire, Dan Gertler.
Ce milliardaire israélien, ami du président congolais Joseph Kabila, l’avait aidé à acheter à bon prix des gisements de cuivre au Congo. M. Gertler rejette ces accusations, mais Washington l’a inscrit, en décembre 2017, sur la liste des personnes susceptibles de sanctions pour les accords opaques et entachés de corruption.
Risque de perte de confiance des créanciers et investisseurs
Pour Glencore, le plus grand risque n’est pas d’avoir à payer de lourdes pénalités, mais de perdre la confiance de ses créanciers et des investisseurs, qui pourraient alors retirer leurs prêts. Ce serait une catastrophe dans un secteur très capitalistique où les opérateurs cherchent à emprunter aux meilleurs taux.
La multinationale de Barr n’en est pas là. Son principal actionnaire, David Herro, lui a renouvelé sa confiance dès que la requête du DoJ a été connue. Et deux jours après la mauvaise nouvelle, qui avait entraîné une baisse de 8 % de l’action, M. Glasenberg a annoncé un rachat d’actions pour 1 milliard de dollars (850 millions d’euros). Une manière de rassurer les investisseurs sur la solidité de la « maison », dont il détient 8 % du capital.
Sur son site officiel, Glencore souligne volontiers ses engagements en faveur de la transparence et sa démarche vertueuse en matière sociale et environnementale. Il se présente comme un membre actif de l’Initiative pour la transparence des industries extractives, qui oblige les compagnies et les Etats à rendre publics les flux financiers et l’usage des revenus des ressources naturelles.
Mais son histoire reste sulfureuse, entachée, dès les origines, par des pratiques frauduleuses. La société est, en effet, issue de Marc Rich & Co, fondée en 1974 par l’homme d’affaires éponyme. Considéré comme le père du négoce moderne des matières premières, il avait fui les Etats-Unis pour éviter des centaines d’années de prison.
Un univers impitoyable
Les autorités américaines l’accusaient d’une colossale fraude fiscale et de rupture de l’embargo visant la République islamique d’Iran en pleine crise des otages de l’ambassade des Etats-Unis à Téhéran. Amnistié par Bill Clinton en 2001, il n’est jamais retourné aux Etats-Unis jusqu’à sa mort, en 2013.
Dans l’univers impitoyable de la mine et du trading des matières premières, où opèrent d’autres géants comme Vitol ou Trafigura, Glencore a la réputation de prendre de grands risques politiques, économiques et juridiques, ne rechignant jamais à aller dans les pays les plus fragiles et les plus corrompus de la planète. Voire de jouer les intermédiaires entre des entreprises nationales sous sanctions et le marché des matières premières.
Patron de Glencore depuis 2002, M. Glasenberg ne craint pas les alliances risquées. Pourtant, il a dû revendre sa part dans le russe Rosneft, achetée fin 2016, alors que la compagnie pétrolière publique était déjà visée par des sanctions américaines et européennes liées au conflit ukrainien. De même a-t-il été contraint de démissionner du conseil d’administration du fabriquant d’aluminium Rusal, propriété de l’oligarque Oleg Deripaska (proche du président russe Vladimir Poutine), également sous le coup des sanctions occidentales.
Si l’enquête américaine aboutit à des poursuites contre Glencore, il n’est pas certain que son patron puisse continuer à vivre ainsi sur le fil du rasoir. Un concurrent s’interroge même : Et si c’était « le début de la fin » pour « Ivan » ?