« Paranoïa » : un huis clos horrifique, expérimental et téléphoné
« Paranoïa » : un huis clos horrifique, expérimental et téléphoné
Par Jacques Mandelbaum
Avec ce thriller filmé dans une institution psychiatrique, Steven Soderbergh ne convainc qu’à moitié.
Les amateurs de cinéma connaissent la rage discrète mais laborieuse de Steven Soderbergh. Y a-t-il un genre qui ait échappé à la visite de ce cinéaste gourmand et pressé, alternant films indépendants et cinéma de studio, expérimentation et amour du classicisme ? Depuis sa décision, un peu à l’emporte-pièce, de se retirer des voitures cinématographiques en raison du durcissement du système de financement, il a signé avec The Knick (diffusée sur Cinemax en 2014) une série télévisée admirable et jouissive sur les débuts épiques de la chirurgie moderne à New York, et s’est rapidement persuadé de l’inanité de son retrait en revenant au cinéma. Décision qui a ravi ses admirateurs, mais qui se solde pour l’heure par un résultat mitigé.
Logan Lucky (2017) fut ainsi une comédie d’action relativement pataude, tandis que Paranoïa se révèle, aujourd’hui, un film qui ne convainc qu’à moitié. Ce thriller horrifique nous conduit entre les quatre murs d’une institution psychiatrique privée, où la jeune Sawyer (Claire Foy) se trouve enfermée contre sa volonté, après avoir consulté une psychologue pour s’ouvrir de son sentiment d’être la proie d’un harceleur.
Suspense manipulateur
Plusieurs lignes se mêlent. Le dossier social prisé par l’auteur, avec le scandale des institutions privées psychiatriques qui enferment des patients pour tirer profit de l’argent de leur assurance. Le suspense manipulateur, qui fait osciller le spectateur entre l’hypothèse de la folie du personnage et la réalité de sa persécution. Le film d’horreur avec possible psychopathe maléfique à l’intelligence supérieure. Enfin le film expérimental, avec une œuvre tournée en huis clos au téléphone portable, source d’une sorte d’expressionnisme documentaire destiné à exacerber l’impression de confinement et de perte des repères.
L’ensemble, dirigé, photographié et monté par l’auteur en un temps record, laisse sur sa faim. Faisant de l’esprit série B (vite fait, bien fait, pour presque rien et trouvant dans cette économie l’impureté nécessaire à sa réussite), Paranoïa semble vouloir conjoindre L’Antre de la folie (1948), de Budd Boetticher, au Projet Blair Witch (1999), de Daniel Myrick et Eduardo Sanchez. Il n’en demeure pas moins très en deçà de la tension que peuvent procurer non seulement ces deux films, mais a fortiori ces chefs-d’œuvre de la terreur psychiatrique que sont Shock Corridor (1963), de Samuel Fuller, ou Shutter Island (2010), de Martin Scorsese.
Il n’est pas certain, par ailleurs, que la distorsion formelle du film, supposée traduire la confusion mentale des personnages, ni même que l’exploit d’un tournage dans un espace aussi exigu qu’une pièce de confinement, vaillent le prix de la laideur qui en résulte. L’utilité de l’expérimentation demande à être interrogée. Il est en revanche un point sur lequel le film alerte la conscience du spectateur et s’accorde à notre époque, c’est évidemment celui de la reconnaissance du statut des femmes victimes de harcèlement, voire de prédation sexuelle, et des conséquences insoupçonnées qui s’ensuivent sur la psyché féminine.
Film américain de Steven Soderbergh. Avec Claire Foy, Joshua Leonard, Amy Irving (1 h 38). Sur le Web : www.foxfrance.com/paranoia-lefilm