Sida : la prévention est en crise, selon l’ONU
Sida : la prévention est en crise, selon l’ONU
Par Paul Benkimoun
Le nombre de nouvelles infections reste beaucoup trop élevé pour espérer mettre un terme à la pandémie.
Lors de la Journée mondiale de lutte contre le sida, à Calcutta, en décembre 2014. / DIBYANGSHU SARKAR/AFP
Faille de la prévention, manque de financement, ralentissement des progrès : à moins d’une semaine de la 22e conférence internationale sur le sida, qui se tiendra à Amsterdam du 23 au 27 juillet, l’Onusida tire le signal d’alarme. Si, pour la première fois, le nombre de personnes mortes de maladies liées au sida passe sous la barre symbolique du million, le chiffre des nouvelles infections identifiées en 2017 reste désespérément élevé : 1,8 million de personnes ont découvert leur séropositivité, soit près de 5 000 cas par jour. Le directeur exécutif de l’Onusida, Michel Sidibé, évoque « une crise ».
Dans un rapport intitulé « Un long chemin reste à parcourir », publié mercredi 18 juillet, l’organisation estime que « la riposte mondiale au sida se trouve dans une situation particulièrement préoccupante : les succès, certes remarquables – mais encore limités – que nous avons connus en termes de vies sauvées et d’arrêt de nouvelles infections par le VIH sont en train d’ouvrir dangereusement la voie à une certaine forme de complaisance. A mi-chemin des objectifs à atteindre d’ici 2020, le rythme des progrès est encore loin d’être à la mesure de l’ambition affichée. »
Cette ambition est de parvenir à moins de 500 000 morts liés au sida par an en 2020. Elle est aussi qu’à la même échéance, 90 % des personnes vivant avec le VIH connaissent leur statut sérologique. Il s’agirait également que 90 % de toutes les personnes infectées par le VIH dépistées reçoivent un traitement antirétroviral et 90 % des personnes traitées aient une charge virale durablement supprimée, ce qui signifie une infection sous contrôle et un risque minime de transmission du virus.
Efforts gigantesques
En 2017, 36,9 millions de personnes vivaient avec le VIH dans le monde, un nombre qui croît mécaniquement du fait du déploiement des traitements antirétroviraux qui permet aux malades de vivre avec le virus. 59 % des personnes séropositives ont ainsi eu accès à ces médicaments – contre 53 % en 2016.
Cela reste trop peu. Pour atteindre en 2020 les 30 millions de personnes sous traitement – contre 21,7 millions en 2017 –, il faudrait accroître leur nombre chaque année de près de 2,8 millions. Or, l’augmentation en 2017 n’a été que de 150 000 personnes par rapport à 2016. Cet écart donne la mesure des efforts gigantesques à accomplir pour espérer mettre fin à une pandémie qui, depuis son apparition en 1981, a tué 35,4 millions d’humains et infecté 77,3 millions de personnes. La tuberculose constitue la principale cause de décès : un patient atteint du VIH sur trois succombe à cette maladie.
Le domaine de la prévention est le plus problématique. En l’absence d’un vaccin, qui sera indispensable pour espérer réduire à néant ou presque la pandémie, la stagnation du nombre des nouvelles infections risque de compromettre les progrès. Si l’on se réfère au pic atteint en 1996 (3,4 millions de nouvelles infections par le VIH), le nombre observé en 2017 (1,8 million) représente une baisse de 47 %. Mais comparé à 2010, les nouvelles infections n’ont diminué que de 16 %, alors qu’atteindre les objectifs pour 2020 impliquerait une réduction de 75 %.
Cette crise de la prévention résulte des lacunes des programmes visant à empêcher les nouvelles contaminations, en particulier, d’une part, en Europe de l’Est et Asie centrale et, d’autre part, en Afrique de l’Ouest et centrale. Dans ces régions et au Moyen-Orient, le nombre des nouvelles infections a presque doublé depuis 2000.
Les services et interventions de prévention (circoncision, préservatif…) ne sont pas fournis à une échelle adéquate et avec une intensité suffisante. De plus, ils n’atteignent pas les personnes qui en ont le plus besoin, souvent du fait des politiques répressives et discriminatoires. Les adolescentes et jeunes femmes, les enfants, les hommes ayant des rapports homosexuels, les consommateurs de drogues injectables, les travailleuses du sexe, les femmes transgenres, tous ceux désignés sous le terme de « populations-clés » sont ainsi les laissés-pour-compte de la prévention.
Les adolescentes et jeunes femmes d’Afrique subsaharienne (15-24 ans) représentaient un quart des infections par le VIH en 2017 alors qu’elles ne constituent que 10 % de la population. Dans cette région du monde, les femmes comptent pour 59 % des nouvelles infections chez les 15 ans et plus. Une vulnérabilité liée aux violences à leur égard qui freine également l’accès aux services de santé maternelle et infantile et la détection précoce de l’infection chez la femme enceinte pour prévenir la transmission de l’infection chez l’enfant.
« Investissements indispensables »
En 2017, 180 000 enfants ont été contaminés à la naissance ou lors de l’allaitement maternel dans le monde. Les tests virologiques pour les nouveau-nés exposés au VIH demeurent insuffisamment disponibles ce qui retarde d’autant la mise en route du traitement.
Les autres populations-clés sont particulièrement en danger. En 2017, les hommes ayant des rapports homosexuels avaient un risque d’infection vingt-huit fois plus élevé que les hommes n’ayant que des rapports hétérosexuels. Chez les consommateurs de drogues injectables, le risque est multiplié par vingt-deux comparé aux non-utilisateurs. Il est treize fois plus élevé chez les travailleuses du sexe que chez les femmes âgées de 15 à 49 ans, de même que chez les femmes transgenres comparées aux personnes âgées de 15 à 49 ans.
Ces motifs d’inquiétude sont accrus par les incertitudes sur le financement de la riposte à l’épidémie. Dans les pays à revenu faible ou intermédiaire, il a augmenté de 8 % entre 2016 et 2017. Un total de 20,6 milliards de dollars (17,6 milliards d’euros) étaient disponibles en 2017, soit 80 % de la cible pour 2020. Cependant, l’Onusida souligne qu’il « n’y a pas eu de nouveaux engagements significatifs de la part des bailleurs en 2017 » et craint des conséquences catastrophiques si les financements internationaux étaient amputés de 20 %.
En 2019, la France accueillera la conférence de reconstitution du Fonds mondial contre le sida, la tuberculose et le paludisme. « Nous demandons au président Emmanuel Macron de jouer pleinement le rôle de premier de cordée en mobilisant dès maintenant ses homologues internationaux pour obtenir des contributions à hauteur de 14,5 à 18 milliards de dollars. Ces investissements supplémentaires seront indispensables pour éviter une reprise de l’épidémie au niveau mondial dans les prochaines années », alerte Aurélien Beaucamp, président d’Aides, association membre de Coalition PLUS.