Enfin un peu de calme sur le Tour : 169,5 kilomètres, quatre échappés, zéro chance de réussite, un sprint et 151 coureurs derrière l’unique Peter Sagan. Et surtout, Valence 2.

  • Le Tour de France, c’est aussi le tour de la France moche

Contrairement aux apparences, Valence est plutôt une jolie ville.

La 13e étape reliait Bourg-d’Oisans à Valence, plus exactement à « Valence 2 », la zone d’activité commerciale où se trouvait la ligne d’arrivée vendredi. Jamais bon signe, ce « 2 ». On songe à Italie 2, Bercy 2 ou Rosny 2, pour ne citer que des lieux franciliens. On se souvient d’un Rio 2, situé en face du parc olympique de Rio de Janeiro, particulièrement catastrophique.

Valence regorge de splendeurs, mais elle vient de remporter le prix de l’arrivée d’étape la plus triste du Tour 2018, au moins d’un point de vue esthétique. Le chef-lieu de la Drôme ne manque pourtant pas de jolies places (Championnet, par exemple) ou de belles avenues (Gambetta, par exemple) qui auraient offert un décor un peu plus majestueux que la ZAC dont Peter Sagan ne se souviendra peut-être pas.

Seulement voilà, d’une part, le Tour prend beaucoup de place, et d’autre part, les cœurs des agglomérations lui sont de moins en moins accueillants. Thierry Gouvenou, l’homme qui trace le parcours de la course, nous explique :

« On essaie toujours d’être au plus près des centres-villes, mais on a beaucoup de contraintes, notamment la zone technique [qui accueille les camions des télévisions], qui s’est beaucoup agrandie dans les années 1980 et 1999, et qui équivaut à une centaine de camions. Alors il faut beaucoup d’espace sur le lieu d’arrivée. On a aussi besoin d’un lieu suffisamment vaste pour accueillir toute la presse, on n’en trouve pas partout. (On plaide coupable, ndlr)

En plus de ça, au fil des ans, beaucoup de centre-villes ont été aménagés pour les piétons, avec les zones 30 et les tramways, donc on a du mal à arriver au cœur des villes. C’est surtout vrai pour les étapes qui se finissent au sprint, il faut ôter des ilots, ou raboter des ronds-points, c’est compliqué.

On fait des concessions pour les départs d’étape : même si c’est très étriqué, on s’arrange. Mais pour l’arrivée, on doit souvent s’installer un peu en périphérie. A Bordeaux, par exemple, c’est devenu compliqué à cause du tramway. A Pau, ils nous ont préservé la place Verdun. Au Puy-en-Velay, il y a une grande place en centre-ville, ça va. A Amiens aussi, on est quasiment au centre. Tout n’est pas perdu. »

Thierry Gouvenou profite de la tribune que nous lui offrons pour formuler une requête : « Que les Champs-Élysées restent comme ils sont, qu’ils ne nous mettent pas un tramway au milieu. » Sinon, on délocalise le sprint final du Tour sur le périph ?

  • Sagan marche seul

Contrairement aux apparences, Peter Sagan n’a pas remporté sa cinquième étape du Tour. / JEFF PACHOUD / AFP

Peter Sagan a vécu une étrange traversée des Alpes. Il s’est séparé de quatre compagnons sprinteurs sur abandon ou hors-délai, dans des étapes de montagne dont tout le peloton est sorti essoré (Gaviria, Groenewegen, Kittel, Greipel). Il a aussi annoncé mercredi s’être séparé de sa compagne et mère de son fils Marlon, deux ans et demi après la noce (magnifique costume de mariage).

Il n’en gardait pas moins son sourire farceur en conférence de presse, où il fit don d’un nouvel aphorisme : « Les sprints, c’est comme la mort. Une fois tu gagnes, une fois tu perds. » Ça fait réfléchir.

Coup de bol, cette fois, Sagan a gagné, et c’est la troisième fois cette année, au bout d’un sprint où il a dû se débrouiller vraiment tout seul : il était en 20e position du peloton à la flamme rouge et a réussi, dans le faux plat s’achevant à 500 mètres de l’arrivée, à se replacer dans la roue d’Alexander Kristoff.

L’absence de la Quick-Step rendit le sprint plus « bordélique », selon les mots de Peter Sagan, car « tout le monde veut sprinter maintenant, mais bon, pourquoi pas, tout le monde a le droit de saisir les opportunités ».

Tout le monde a le droit d’essayer, mais pas forcément de les saisir, tant que le Slovaque est en course. « Maintenant, il va sans doute falloir attendre les Champs, car (l’étape arrivant à) Pau, ça va être compliqué (d’arriver au sprint) », jugeait à l’arrivée Arnaud Demare, parfaitement emmené mais seulement troisième. A Paris, Sagan aura l’occasion à la fois de battre son record d’étapes sur un même Tour de France (il égale à Valence, avec trois victoires, ses performances de 2012, 2015 et 2017) et de s’imposer pour la première fois près de l’Arc de Triomphe. Bon courage à la concurrence.

  • On ne peut pas mettre 1000 gendarmes derrière 100 000 spectateurs, mais on peut mettre...

Contrairement aux apparences, Chris Froome n’a pas mis de coup de coude à Alejandro Valerde. / MARCO BERTORELLO / AFP

De même qu’on ne peut pas mettre un contrôleur antidopage derrière chaque coureur pour vérifier qu’il ne triche pas, on ne peut pas mettre un gendarme derrière chaque spectateur pour vérifier qu’il n’est pas trop aviné : c’est la conclusion du débat qui a agité le Tour aujourd’hui, en cette journée par ailleurs bien calme.

Muet jeudi soir - sans que l’on puisse déterminer si la cause en était le comportement de Geraint Thomas ou des spectateurs -, Christopher Froome s’est exprimé au départ de Bourg-d’Oisans, dans son français imparfait donc touchant, au sujet des incidents de l’Alpe d’Huez. La faute à qui ? L’Anglais n’a pas trop de doute : « Pendant la course, c’est la responsabilité des organisateurs de protéger tous les coureurs. » Visiblement, Froome a bien reçu le courrier d’ASO l’enjoignant, à la mi-juin, de rester chez lui durant le Tour de France en raison de la procédure - depuis fermée - pour un contrôle antidopage anormal.

Christian Prudhomme, de son côté, a insisté sur la sécurisation exceptionnelle de cette ascension, renforcée en raison du contexte entourant l’équipe Sky : « Sur la montée de l’Alpe d’Huez, il y avait près de 500 gendarmes, 1,3 kilomètre de barrières en bas, les quatre derniers kilomètres étaient barriérés, le virage des Hollandais, traditionnellement le secteur le plus compliqué, était tenu derrière des cordes. »

Et de faire cette recommandation : « Ne pas siffler et évidemment ne pas toucher les coureurs. Même une bourrade qui se veut affectueuse. » Comme celle-ci, par exemple.

Le directeur du Tour s’est aussi prononcé contre l’utilisation de fumigènes, qui ont aveuglé et gêné la respiration des coureurs dans la montée de l’Alpe - mais fait la joie des photographes.

Il y en a un qui parvient à rire de tout cela et à défendre les spectateurs, et c’est évidemment Peter Sagan : « Ils ont des émotions qu’ils n’arrivent pas à contrôler ! (rires) Les gens veulent être près de nous, nous toucher. Ils font beaucoup de kilomètres pour cela. »