TV – « Ondes de choc » : tétralogie sanglante chez les Helvètes
TV – « Ondes de choc » : tétralogie sanglante chez les Helvètes
Par Thomas Sotinel
Notre choix du soir. La Suisse vue à travers des faits divers traités par le collectif Bande à part qui réunit les cinéastes Ursula Meier, Lionel Baier, Frédéric Mermoud et Jean-Stéphane Bron (sur Arte à 20 h 55).
Passant d’une demi-douzaine à plus de huit millions entre la fin du XXe siècle et aujourd’hui, le nombre d’habitants de la Confédération helvétique suffit à fournir son lot de criminels. Il n’y a donc pas lieu de s’étonner que la télévision suisse romande ait produit une minisérie dont chaque épisode est inspiré d’un fait divers survenu ces dernières décennies dans le pays. Plus originale est la manière d’avoir réuni cette collection. Le diffuseur suisse s’est adressé au collectif Bande à part, qui réunit les cinéastes Ursula Meier (L’Enfant d’en haut), Lionel Baier (Les Grandes Ondes), Frédéric Mermoud (Complices) et Jean-Stéphane Bron (Cleveland contre Wall Street), laissant le choix de leur matériau à ces auteurs très différents les uns des autres.
Le résultat, proposé sous le titre Ondes de choc, est une tétralogie sanglante, faite d’histoires singulières que réunissent l’âge des protagonistes, des garçons au sortir de l’adolescence, les paysages (cette intrication entre la campagne et la ville, la plaine et la montagne) et un désir manifeste de faire du cinéma, fût-ce pour le petit écran. Les films seront diffusés sur Arte (qui a coproduit la série) deux par deux, les 20 et 27 juillet.
Journal de ma tête, d’Ursula Meier, ouvre la procession avec un double parricide, commis par un garçon de 18 ans. Autour de la figure de Benjamin (Kacey Mottet Klein), qui correspond en apparence à l’archétype du « lycéen sans histoires », l’auteure tisse un écheveau de questions. Celles que se posent les enquêteurs et les magistrats. Et surtout celles qui taraudent Esther Fontanel (Fanny Ardant), la professeure de français du meurtrier, à qui le jeune homme a adressé une longue missive quelques heures avant de tuer ses parents. L’enseignante est pressée par un juge d’instruction (Jean-Philippe Ecoffey, formidable d’épaisseur physique et intellectuelle) qui les tient, elle et son enseignement de l’introspection, pour responsables du passage à l’acte de Benjamin.
Au fil des mois, on voit Esther vaciller entre le déni, la fascination pour l’abîme qu’elle aurait ouvert, et la compassion pour son ancien élève. Ursula Meier observe l’intimité qui se crée entre elle et Benjamin, l’impossibilité de la réparation. Comme souvent, l’apparente distance de la cinéaste finit par créer plus d’émotion qu’une empathie immédiate.
« Sadique de Romont »
Des quatre films, Sirius sera le plus familier aux spectateurs français puisqu’il évoque un épisode dont le retentissement a franchi les frontières, le massacre de l’Ordre du temple solaire, à Salvan, en 1994. Frédéric Mermoud respecte en partie les injonctions de la mention « inspiré de faits réels ». Carlo Brandt et Dominique Reymond, qui incarnent les gourous meurtriers d’une secte, proposent des hypothèses convaincantes quant aux motivations et aux comportements des mégalomanes qui entraînent leurs fidèles jusqu’à la mort. Egrenant les jours qui précèdent le massacre, Sirius s’attache aux pas hésitants d’un jeune adepte, Hugo (Grégoire Didelot) pris de doute à l’approche du « voyage » annoncé par les maîtres que lui ont choisis ses parents. Le classicisme de la mise en scène est dopé par le laconisme du scénario (chacun des auteurs a dû respecter, à peu de chose près, la limite d’une heure) et, aussi attendu soit-il, le finale touche à la tragédie, exacerbée par l’absurdité du rituel qui y préside.
Peut-être parce qu’il est souvent documentariste, Jean-Stéphane Bron s’est emparé d’un fait divers relativement récent, la cavale de trois voleurs de voitures lyonnais, venus chercher en Suisse des berlines allemandes. La Vallée prend la forme d’un thriller ramassé, porté par un jeune acteur, Iliès Kadri, prenant ici les traits d’un gamin doué pour l’électronique, qui doit, d’un moment à l’autre, se muer en un Rambo du XXIe siècle (celui du premier épisode de la série), pourchassé par monts et par vaux dans une nature hostile.
Dans les années 1980, le « sadique de Romont » a enlevé, violé et tué dix hommes entre Suisse et Savoie. Mais ce n’est pas la figure récurrente du tueur en série qui intéresse Lionel Baier dans Prénom : Mathieu, plutôt celle d’une des victimes qui a échappé à la mort. A 17 ans, Mathieu doit sa survie à un mélange de présence d’esprit et de chance. Blessé physiquement, amnésique, il tente de recouvrer son intégrité. Le suspense du film ne tient pas tant à l’arrestation du criminel, qui dépend de la dissipation de l’oubli, qu’à la possibilité pour l’adolescent de rejoindre le monde des vivants.
Avec une délicatesse qui n’exclut pas la lucidité, Lionel Baier met en scène le stigmate marquant la victime d’un crime sexuel (voir les séquences déchirantes et troublantes qui réunissent le garçon et son père), le doute qui la travaille, la pression qu’exerce le policier chargé de l’enquête (Michel Vuillermoz) entraînant Mathieu dans une maïeutique aussi efficace qu’intéressée. Situé de l’autre côté du crime, Prénom : Mathieu est dominé par la figure de son interprète principal, un débutant, Maxime Gorbatchevsky.
Journal de ma tête, d’Ursula Meier, et, à 22 h 05, Sirius, de Frédéric Mermoud. Vendredi 27 juillet, à 20 h 55, La Vallée, de Jean-Stéphane Bron et, à 21 h 45, Prénom : Mathieu, de Lionel Baier.