Au Liban, on ne badine pas avec saint Charbel
Au Liban, on ne badine pas avec saint Charbel
Par Benjamin Barthe (Beyrouth, correspondant)
Deux jeunes Libanais ont été harcelés pour avoir tourné en dérision un miracle attribué au saint patron du pays du Cèdre.
Des fidèles rendent hommage à saint Charbel, en 2016 à Annaya, dans le nord du Liban. / PATRICK BAZ / AFP
Saint Charbel, le saint patron du Liban, dont l’existence fut un modèle d’ascèse et de recueillement, aurait-il apprécié le ramdam causé en son nom ? Pour s’être moqués de la réputation de thaumaturge de l’ex-ermite maronite, deux jeunes Libanais ont été l’objet d’un lynchage en règle sur les réseaux sociaux, d’une journée d’interrogatoire par la police et d’une interdiction de s’exprimer publiquement sur les questions religieuses.
L’histoire commence vendredi 13 juillet, lorsque Charbel Khoury, un Beyrouthin de 28 ans, tourne en dérision, sur sa page Facebook, une histoire prétendument sérieuse : celle d’un compatriote résidant en Roumanie qui, faute de parvenir à avoir un enfant avec son épouse, s’est rendu sur la tombe de saint Charbel, dans le nord du Liban, et qui de retour à son domicile a découvert sa femme enceinte. Commentaire acide du jeune homme, qui se revendique comme athée : « Est-ce que l’enfant lui ressemble ? »
Ce sarcasme et la mise en doute des pouvoirs guérisseurs du défunt moine, canonisé par le Vatican en 1977 et dont le sanctuaire est un haut lieu de pèlerinage, ont ulcéré de nombreux chrétiens libanais. Le compte Messenger de Charbel Khoury s’est retrouvé noyé sous un flot d’insultes et de menaces, dirigées contre lui et ses sœurs.
Huit heures de garde à vue
Une journaliste du quotidien de gauche Al-Akhbar, Joy Slim, âgé de 26 ans, qui avait rebondi sur le post initial, en écrivant que « l’enfant ressemble peut-être à saint Charbel », a eu droit à un harcèlement du même genre, avec, en prime, la publication de l’adresse de ses parents. Les esprits se sont à ce point échauffés qu’un des collègues de Charbel Khoury a tenté de l’agresser sur leur lieu de travail. Cet acte a incité ce dernier à déposer deux semaines de congés et à limiter ses déplacements en dehors de son domicile.
Les autorités libanaises s’en sont alors mêlées, mais pas dans le sens espéré par les deux jeunes mécréants. Ce sont eux que la police a convoqués, au motif de faire retomber la tension, et non leurs tourmenteurs. En échange de sa libération, après huit heures de garde à vue, Charbel Khoury a dû effacer de sa page Facebook toutes les captures de messages menaçants qu’il avait postées. Il a également dû s’engager à ne pas utiliser Facebook pendant un mois et à s’abstenir dorénavant de tout commentaire sur la religion.
Même punition pour Joy Slim, qui a eu droit en plus à un sermon sur la foi et les miracles, versets de la Bible à l’appui. « Les agents m’ont dit que c’est le Centre catholique d’information [un organe de censure officieux] qui leur a demandé de nous convoquer, affirme la journaliste. Ça montre combien, au Liban, les religieux empiètent sur le travail de l’appareil d’Etat ».
« Chantage »
Les ONG de défense des droits de l’homme s’inquiètent pour leur part d’un rétrécissement de la liberté d’expression dans le pays du Cèdre. Un simple message sur les réseaux sociaux peut désormais suffire pour être convoqué par un service de sécurité. C’est ce qui est arrivé cette semaine à un militant de la société civile, en lutte contre un projet hôtelier en construction sur la dernière plage publique de Beyrouth.
Au mois de janvier, un adolescent de 15 ans avait eu droit à un interrogatoire, menotté et les yeux bandés, après avoir choisi comme photo de profil, sur WhatsApp, une image déplaisante pour le président Michel Aoun. Généralement, les personnes convoquées sont relâchées au bout de quelques heures après s’être engagées, par écrit, à taire leurs critiques. Une pratique « illégale », semblable à du « chantage », selon Amnesty International.