Sur les superbes routes d’Ardèche et de Lozère, le peloton a lézardé au soleil loin, très loin derrière une échappée maousse dont Jasper Stuyven a bien failli se jouer. C’est finalement Omar Fraile, grimpeur d’Astana, qui s’impose sur l’aérodrome. Du côté des favoris, Geraint Thomas a semblé se balader quelques longueurs de Primoz Roglic. Les écarts créés, notamment sur Romain Bardet, ne sont pas énormes, mais la dynamique des derniers jours se confirme.

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  • Et maintenant, Alaphilippe est trop patient

Julian Alaphilippe a-t-il l’air plus abattu que Romain Bardet  ? / Christophe Ena / AP

On a loué ici, il y a quatre jours, une vertu nouvelle de Julian Alaphilippe, qui lui permettait de remplir son palmarès, sur la Flèche Wallonne au printemps et avec sa première victoire sur le Tour de France, au Grand-Bornand : la patience. Il faut se demander s’il n’a pas forcé un peu cette qualité samedi sur la pente de la Croix-Neuve, où le Français, aidé toute la journée par ses Belges sûrs Yves Lampaert et Philippe Gilbert - un jour de fête nationale -, a échoué à la deuxième place.

Alaphilippe, attendu par sa famille élargie à l’arrivée à Mende, a sagement attendu la deuxième moitiée de la montée pour s’agiter, restant jusqu’alors dans la roue de l’Allemand Simon Geschke, bien gentil d’assurer le tempo. Le Basque Omar Fraile, grimpeur de talent qui faisait partie des favoris pour la victoire au sein de cette échappée, avait déjà pris une vingtaine de secondes d’avance. Il n’a jamais craqué et Alaphilippe, malgré son punch, a juste pu le voir lever les bras sur l’aérodrome de Mende.

A l’arrivée, le Français se contentait de cette place de deuxième à laquelle il est certes habitué dans sa carrière (Liège-Bastogne-Liège, Tour de Lombardie, Flèche Wallonne, étapes du Tour...). Et n’en nourrissait pas de regrets, estimant qu’il n’était pas si fort que son accélération ne l’avait laissé paraître : « Quand je regarde les images, oui, je suis parti trop tard, mais c’est simplement que je ne pouvais pas avant. Je ne connaissais pas la montée, j’ai essayé de gérer mon effort du mieux possible mais quand j’arrive dans la roue de Jasper Stuyven, j’étais cuit pour l’arrivée. » Consolation : Alaphilippe a remplumé son matelas au classement de la montagne avant les Pyrénées et compte 20 points d’avance sur Warren Barguil, l’équivalent d’un passage à la première place sur un col hors-catégorie.

  • Les Lotto sont les plus joueurs

Saurez-vous deviner, grâce à cette photo, quel sport pratiquait Primoz Roglic avant le cyclisme ? Un bidon dédicacé par Laurent Pichon au premier qui trouvera. / MARCO BERTORELLO / AFP

C’est Primoz Roglic qui a gagné aujourd’hui. Pas la course à l’étape, mais celle au Maillot jaune. A la secode place, disons. Au podium, disons. Aux places d’honneur, disons. Toujours est-il que, parti dans la côte finale, le Slovène de la Lotto-Jumbo arrive huit secondes avant Thomas, Froome et Dumoulin, et 22 avant Bardet, reprenant ainsi un peu du temps qu’il avait perdu dans les Alpes sur ce quatuor avec lequel il forme le Top 5 (4e à 2’38 de Thomas).

Son démarrage fulgurant a sans doute procuré une bouffée de chaleur (une bouffinette, n’exagérons rien) au sein de la Sky, incapable de combler le trou. Quarante-huit heures plus tôt, c’est un coéquipier de Roglic, Steven Kruijswijk (à vos souhaits), qui avait probablement causé à la british armada quelques tourments (quelques tourmentinets, n’exagérons rien), lors d’une échappée-fleuve vers l’Alpe-d’Huez qui l’avait vu compter plus de six minutes d’avance, et prendre virtuellement le maillot jaune (il est 7e à 3’57).

Hormis, ça et là, quelques banderilles de Bardet (des Barderilles), il faut bien constater que la Lotto Jumbo est la seule équipe à tenter de déstabiliser la Sky. Au piont de la faire craquer ? « C’est la question à un million de dollars », selon Roglic. « En tout cas, on ne se contente pas que dire qu’on va attaquer, on le fait. C’est comme ça qu’on aime courir », claironne Kruijswijk (à vos amours). Et si d’autres équipes s’y mettaient ? « Ça rendrait la course plus intéressante. Mais il faut être capable de le faire, parce que les Sky sont si forts… Si vous n’êtes pas assez bons, vous ne pouvez même pas essayer. »

« Moi, j’aime courir, alors si je peux essayer, j’essaie, explique Roglic. C’est sûr que c’est mieux pour les spectateurs si on tente des trucs, mais on a tous constaté à quel point les Sky étaient forts et pouvaient contrôler le reste du peloton. » N’empêche, quelques secondes grappillées ne font pas de mal : « Mieux vaut gagner huit secondes que perdre huit secondes, non ? » Si. Peut-on s’attendre à voir l’équipe néerlandaise en picorer quelques-unes de plus dans les Pyrénées ? « Si je peux, je réessaierai », affirme Roglic. « Pour sûr », confirme Kruijswijk (à vos… Tiens, qu’est-ce qu’on dit au troisième éternuement ?).

  • Pour Bardet, le podium s’éloigne

Romain Bardet a-t-il l’air plus abattu que Julian Alaphilippe ? / JEFF PACHOUD / AFP

Ce n’était pas ce pour quoi il était venu, avec son équipe intelligemment renforcée à l’hiver et l’expérience du Tour 2017, où il avait visé le maillot jaune jusqu’au dernier moment. Mais l’équipe AG2R n’a pas attendu la journée de repos en pays cathare, lundi, pour revoir à la baisse les objectifs de Romain Bardet : « Le podium est encore envisageable », a dit le patron Vincent Lavenu, reléguant de façon raisonnable aux oubliettes les ambitions de victoire à Paris.

Samedi, sur une côte de la Croix Neuve qui lui correspond pourtant avec ses forts pourcentages, Romain Bardet s’est garé, moteur serré, sur l’attaque en force, assis sur sa selle, de Tom Dumoulin à 500 mètres du sommet. Une panne sèche alors que son équipe avait visiblement des vélléités offensives, puisque Mathias Frank puis Pierre Latour avaient durci le rythme au pied de l’ascension.

Visage marqué, filet de bave s’écoulant de son menton, Romain Bardet n’avait pas en franchissant la ligne la fraîcheur déconcertante de Primoz Roglic, le premier des favoris à l’arrivée. Vingt-neuf secondes d’« interview » ont suffi à laisser transparaître la forte déception de Romain Bardet, dont les parents étaient à l’arrivée et dont le nom s’inscrivait sur de nombreuses pancartes toute la journée, non loin de ses terres cantalouses : « Je n’étais pas dans une grande journée mais j’ai fait à fond. C’est une étape de plus de passée. Vivement les Pyrénées. Tout le monde est très fatigué, et c’est vrai que c’était encore brutal aujourd’hui. »

S’il veut voir le positif, Romain Bardet se dira qu’il vaut mieux avoir une mauvaise journée aujourd’hui que dans l’une des trois étapes pyrénéennes. Pour le négatif, il suffit de regarder le classement. A moins de glisser de la mort aux rats dans le müesli de l’équipe Sky ou de dissoudre une ampoule de salbutamol dans leur boisson énergisante (et encore...), il ne reprendra pas l’un ET l’autre dans les Pyrénées. A son retard actuel, il faut ajouter une à deux minutes dans le contre-la-montre individuel au Pays basque. Plus problématique : ce débours est également attendu sur les deux autres hommes qui le devancent, Tom Dumoulin et Primoz Roglic, qui ne montrent aucune faille.

Beaucoup de choses se passeront en troisième semaine, où il espère que ses capacités de récupération feront la différence. Mais un podium à Paris serait un moindre mal, et même cet objectif semble déjà complexe : « Il faut que ça bouge dans les Pyrénées. Il tentera quelque chose à un moment donné. On se doit de garder l’objectif », insiste Vincent Lavenu, qui espère « des surprises » et l’effondrement de Froome et Dumoulin, avec le Giro dans les pattes.