Pour fuir la canicule, rien ne surpasse la climatisation d’une salle de cinéma. Quatre excellents films combleront cette semaine les plus gros appétits cinéphiles.

« La Saison du diable » : la dictature de Marcos en opéra-rock

LA SAISON DU DIABLE Bande annonce VOSTFR (2018)
Durée : 01:14

Réputée austère et exigeante, l’œuvre du Philippin Lav Diaz rencontre de plus en plus souvent le chemin des salles. Et il est toujours réjouissant de pouvoir tomber, même au creux de l’été, sur des films aussi rétifs à toute norme que les siens. L’un deux, La Saison du diable reprend à son compte l’un des grands motifs politiques de son cinéma : la déploration des souffrances du peuple philippin, sous le joug des vagues de colonisation ou des régimes répressifs. Dédié « aux victimes de la loi martiale », le film nous plonge à la fin des années 1970, sous le règne sanglant du dictateur Ferdinand Marcos. Mais au lieu de ses habituels mélodrames d’inspiration dostoïevskienne, Diaz bifurque ici vers une sorte d’« opéra-rock » où les dialogues laissent place à un registre presque intégralement chanté.

Taillé dans la lenteur et la fixité, le film est rendu captivant par la somptueuse composition de chacun de ses plans au cœur desquels le regard plonge et s’aventure longuement. Devenu maître du noir et blanc numérique, Lav Diaz élabore de subtils dégradés de luminosités mouchetées, versant par moments dans des contrastes quasi expressionnistes. Filmées à l’objectif grand angle, ses images sont soutenues par de profondes lignes de force, qui étendent le champ de vision. Chaque plan invente ainsi une scénographie particulière où le hiératisme des corps est compensé par un grand dynamisme plastique. Mathieu Macheret

Film philippin de Lav Diaz. Avec Piolo Pascual, Shaina Magdayao, Pinky Amador, Angel Aquino (3 h 54).

« Roulez jeunesse » : un homme et trois enfants

ROULEZ JEUNESSE Bande Annonce (Eric Judor, Comédie Française 2018)
Durée : 01:51

En plein cœur de l’été, une petite comédie familiale déjantée et enlevée : que demander de plus ? Dans le premier long-métrage de Julien Guetta, scénario brindezingue et acteur paranormal en la personne d’Eric Judor s’allient à merveille. Ce dernier incarne ici Alex, célibataire de 43 ans, dépanneur automobile dans l’entreprise dirigée par sa mère (Brigitte Roüan), qui le couve comme un adolescent. Tout commence au bord d’une route, alors qu’Alex est arraisonné par une conductrice en panne qui entreprend de le séduire afin qu’il la dépanne. De fil en aiguille, Alex se retrouve à passer la nuit en sa compagnie, mais au matin la belle a disparu, laissant ses enfants.

Cet enclenchement absurde inaugure une série d’événements plus improbables les uns que les autres. Tenu par l’impossibilité morale d’abandonner les enfants à leur sort, Alex part en quête de leur mère avec l’aide d’une assistante sociale (Laure Calamy) qui se trouve être une ex-amante jadis larguée sans élégance. Une bonne partie de la tâche dévolue au héros du film, et dans laquelle l’acteur Eric Judor est passé maître, consiste donc à gérer la catastrophe. Une sorte de récit de formation transfiguré se dévoile à travers le personnage d’Alex, qui l’amène à soupeser les avantages et les inconvénients d’une mère surprotectrice comme la sienne et d’une mère comme celle des enfants qu’il a recueillis. A cette aune, le film lui-même évolue insensiblement entre la logique surréelle qui le propulse et le virage à la fois moral et sentimental qui l’apaise et le clôt. Jacques Mandelbaum

Film français de Julien Guetta. Avec Eric Judor, Laure Calamy, Brigitte Roüan, Ilan Debrabant (1 h 24).

« Une pluie sans fin » : quand la fatalité s’embourbe

UNE PLUIE SANS FIN Bande Annonce (2018)
Durée : 02:03

Le titre français annonce très justement la couleur, météorologique disons, du premier long-métrage du cinéaste chinois Dong Yue. La pluie y est, en effet, un élément constant qui installe, durant presque deux heures, une lumière grise, une atmosphère sinistre, un paysage dénué d’horizon. Ce paysage, c’est celui qui entoure une gigantesque usine d’Etat dans la province de Hunan à la fin des années 1990, illustration de l’industrialisation à marche forcée à laquelle fut soumise la Chine maoïste dans les années 1950 et 1960. Ce théâtre est d’abord, ici, celui d’un récit policier. Le cadavre d’une jeune fille, violée et mutilée, vient d’être découvert aux abords d’un immense complexe industriel. Yu Guowei, le responsable de la sécurité de l’usine, se met en tête de retrouver le meurtrier et s’attache à suivre plusieurs suspects, jusqu’à l’obsession, jusqu’à l’erreur fatidique.

Une pluie sans fin dépasse le simple récit criminel en utilisant celui-ci de façon allégorique. Car ce que va capter la caméra de Dong Yue, c’est la lente décomposition d’une société construite sur des rituels monumentaux et totalitaires destinés à habiller cyniquement l’oppression et l’exploitation. Son film rejoint ainsi une certaine manière dans le cinéma chinois contemporain d’utiliser le fait divers comme révélateur des mutations historiques du pays. Mais la critique sociale devient ici un voyage quasi métaphysique. Une pluie sans fin est un trip tout à la fois fascinant et désespéré. Jean-François Rauger

Film chinois de Dong Yue. Avec Duhan Yihong, Jiang Yiyang, Du Yuan (1 h 59).

« Vierges » : la sirène au pied des immeubles

VIERGES Bande Annonce (2018)
Durée : 01:59

Lana, 16 ans, traîne son ennui sur la plage de Kiryat-Yam, station balnéaire israélienne où sa mère tient un café que personne ne fréquente plus. La gamine rêve de partir pour Tel-Aviv. Et de perdre sa virginité pour accéder plus vite, pense-t-elle, au statut d’adulte. Dans l’immobilisme d’un temps suspendu où rien ne se produit, il n’est guère d’autre salut que de croire, quand il surgit, au sensationnel. Fût-il imaginaire, fruit du fantasme d’un vieil homme. Celui, en l’occurrence, de Vladimir, qui se met un jour à raconter qu’enfant, depuis le bateau l’amenant en Israël, il a vu une sirène sortir de la mer.

A ce récit oral, chacun va prendre part. La parole initiale devient propriété de tous, se transforme, se propage, s’insinue dans le réel, qu’elle transfigure. La sirène apporte son contingent de rêves et d’espoir. Lana y trouve moyen de s’en amuser ; le maire, une opportunité économique pour sa ville ; le journaliste, une belle histoire pour son journal. A Kiryat-Yam, personne n’est assez fou pour laisser passer si beau mirage. Premier film de Keren Ben Rafael, Vierges élabore son esthétique sur cette union entre la réalité et le fantastique, la trivialité du quotidien et la poésie du fantasme. En apportant sa sirène dans la vie des habitants de Kiryat-Yam, Vierges parvient à faire passer la lumière à travers la tristesse du quotidien. Sans que l’on soit tout à fait dupe : la cocasserie de certaines situations, la blondeur du soleil, l’énergie des personnages cachent autant qu’ils la révèlent l’âpreté du propos. Véronique Cauhapé

Film français, israélien, belge de Keren Ben Rafael. Avec Joy Rieger, Evgenia Dodina, Michael Aloni (1 h 31).