Tour de France : l’étape la plus courte sera-t-elle la meilleure ?
Tour de France : l’étape la plus courte sera-t-elle la meilleure ?
Par Henri Seckel (envoyé spécial à Bagnères-de-Luchon, Haute-Garonne)
La 17e étape ne compte que 65 kilomètres et s’achève au sommet de l’effrayant col du Portet. Un sprint en montagne qui promet de faire de gros dégâts.
En plissant les yeux et en la regardant très vite, on pourrait croire qu’il s’agit d’une photo du Maillot jaune. Mais en fait non, il s’agit d’un champ de tournesols. / Peter Dejong / AP
17E ÉTAPE : BAGNÈRES-DE-LUCHON - SAINT-LARY-SOULAN COL DU PORTET
Dire qu’il fut un temps, dans ses premières années, où le Tour de France empruntait rigoureusement le même parcours d’une édition sur l’autre. Nous vivons aujourd’hui sous le régime du renouvellement forcé : jamais deux fois la même chose ! De l’inédit ! De l’épatant ! Bluffez-nous ! L’obligation de nouveauté est devenu la norme, à tel point que la nouveauté la plus surprenante serait qu’il n’y en ait pas. Imaginez le coup de théâtre lors de la présentation du Tour 2019 par Christian Prudhomme : « Bonjour à tous, cette année, nous avons décidé de refaire exactement le même Tour de France que l’an dernier. Voilà. Salut. »
Les organisateurs sont désormais obligés de se creuser le ciboulot pour dénicher de nouvelles curiosités à chaque édition, et il faut reconnaître qu’ils ont creusé profondément cette année : le résultat du forage est alléchant. Les trouvailles d’ASO sont parfois aussi belles pour les téléspectateurs que sans effet sur la course – exemples cette année : le sentier rocailleux du plateau des Glières, le pic de Nore, ou encore l’usage de gaz lacrymogène contre le peloton hier, fort divertissant, mais qui n’a pas bouleversé le classement général.
Cette année pourtant, la trouvaille majeure ne relève pas du tout du gadget, et risque même de faire de sacrés dégâts. « Cette étape va être extrêmement décisive, il va y avoir de gros écarts », pronostique le Maillot jaune Geraint Thomas. Pour Romain Bardet, « une grosse partie de la hiérarchie sera faite mercredi soir ».
De quoi s’agit-il ? De faire court, toujours plus court, et haut, toujours plus haut. Une étape de montagne, mais une étape pour sprinteurs. Une étape pour sprinteurs de montagne. L’an dernier, l’étape entre Saint-Girons et Foix proposait trois ascensions sur 101 kilomètres, ce qui était déjà spectaculaire, mais il fallait rouler 25 bornes avant le pied de la première, et 25 autres en descente après le sommet de la dernière. En 2018, on a raboté ces kilomètres « inutiles » : l’étape de ce mercredi début en côte et s’achève au sommet, après 65 kilomètres seulement. 65, comme le numéro du département, les Hautes-Pyrénées, où l’action va se dérouler – prochain défi, une étape de 1 kilomètre dans l’Ain (ou de 971 kilomètres en Guadeloupe) ?
Avec 38 kilomètres d’ascension sur 65, l’étape semblait suffisamment dingue en elle-même. ASO a ajouté de la curiosité à la curiosité, avec un départ façon Formule 1 que la brève vidéo ci-dessous expliquera mieux que mes mots.
Tour de France 2018 - Départ en grille
Durée : 01:15
L’idée : au coup d’envoi de l’étape, les leaders ne seront pas protégés par leur bataillon d’équipiers, plus loin au classement et donc sur la grille de départ. Christian Prudhomme explique : « Si certains veulent mettre feu très vite, qu’ils sachent que c’est fait pour. » En Danseuse traduit : « Vous allez me faire le plaisir d’attaquer les Sky d’entrée de jeu, compris ? »
Notre pronostic : la sublime ascension finale, au col du Portet (16 km à 8,7% de moyenne), est si effrayante qu’elle découragera les velléités de grande épopée, et l’on assistera à 500 mètres de flottement, le temps que les équipes se reforment en un peloton classique, avec le train – le funiculaire, en l’occurrence – de la Sky à l’avant. Evidemment, si Roglic ou Dumoulin ou Bardet s’envolent dès le mètre 0 et finissent avec 4 minutes d’avance sur Thomas et Froome, complètement décontenancés par l’absence de leurs équipiers au départ, nous modifierons cet article a posteriori.
« Je ne suis pas sûr que la grille de départ va changer quelque chose, anticipe avec flegme Geraint Thomas. Si un gars du Top 10 part dès le km 0, ce sera sacrément couillu. » Comme son Maillot jaune, le directeur sportif de l’équipe Sky, Nicolas Portal, tempère les ardeurs : « Ceux qui partent dès le départ vont forcément le payer à un moment. Ceux qui attaqueront tout de suite risquent d’être ceux qui sont loin au général. Si quelqu’un qui est à 8 minutes attaque dès le début, on ne va pas poursuivre à fond, on va attendre de se regrouper et faire notre boulot. »
Tout semble pouvoir se passer sur cette étape, et ce « tout » inclut évidemment la possibilité qu’il ne s’y passe en fait rien. En tout cas, l’événement est suffisamment rare en cyclisme pour qu’on le souligne : pour une fois, ne ratez pas le départ !
Départ 15 h 15. Arrivée vers 17 h 45.
A PART ÇA, on n’est pas obligé d’aimer le vélo, on a le droit de penser que les cyclistes sont tous dopés, on a le droit de dire que personne ne les oblige à s’infliger tant de souffrance, mais on ne peut que saluer la bravoure de Philippe Gilbert, qui s’est littéralement gaufré dans le ravin hier, avant de repartir, finir l’étape, puis abandonner, rotule gauche fracturée.
Tour de France 2018 : Chute spectaculaire de Philippe Gilbert ! Tout va bien pour le Belge
Durée : 02:00
Chaussette rouge du plus combatif du jour. / JEFF PACHOUD / AFP
Le Tour du comptoir : Carcassonne
Chaque matin du Tour, En danseuse vous envoie une carte postale du comptoir d’un établissement de la ville-départ de la veille.
Où l’on a eu la paix (2).
Dans la série des rades où le suiveur du Tour assoiffé de quiétude peut avoir la paix (voir l’étape de Bourg-Saint-Maurice), bienvenue au Bar des Halles, en plein cœur de la Bastide Saint-Louis de Carcassonne, déserte grâce aux multiples barrages qu’implique le passage du Tour de France à quelques encablures de là. Pas une voiture. Pas un bruit. Un Coca frais. Le bonheur.
Philippe, 53 ans, a repris l’affaire il y a quinze jours à peine. On s’inquiète de l’absence de clients en arrivant, mais les nombreuses paluches serrées par le patron dans les minutes suivantes nous rassurent. « Je connais la moitié de Carcassonne, et l’autre moitié me connaît », dit cet homme sympathique à la carrure de rugbyman ou de videur de boîte de nuit, qui se trouve précisément avoir été rugbyman et videur de boîte de nuit dans sa vie d’avant, deux carrières éprouvantes auxquelles il a dû mettre fin.
Il refoulait les mal sapés, les mal accompagnés, les trop enivrés au Zénith ou au Souvenir (les clubbeurs carcassonnais sauront de quoi on parle), mais c’est devenu trop dangereux : « Avant, on risquait de se prendre une tarte. Maintenant, on risque de se prendre un coup de couteau. »
Le rugby aussi, c’est devenu trop dangereux ? « Non, mais il ne peut plus jouer que les troisièmes mi-temps ! », se marre, au comptoir, un client rigolard. Un certain Titi, un phénomène manifestement, qui répond « non, moi, de la danse classique » quand on lui demande s’il a fait du rugby lui aussi, et qui fréquente le Bar des Halles depuis quarante ans.
« C’est l’endroit le plus branché de Carcassonne. affirme ce quinquagénaire à qui l’on peut sans doute faire confiance, puisqu’il n’est pas 11 heures du matin, et qu’il est en train de s’enfiler un demi pour faire passer la cuisse de lapin du boucher d’à côté qu’il mange avec les doigts. Faut venir ici le samedi midi, y a du lourd. Les faux branchés sont dans les faux endroits, les vrais branchés dans les vrais endroits. » Le Bar des Halles, donc, pas le Zénith ni le Souvenir.
PS. Nous avons croisé au comptoir Jean-François Saïsset, maire de la commune voisine de Trausse-Minervois, professeur d’histoire-géo, et président de l’AS Carcassonne XIII, club emblématique du rugby vrai (entendez : pas le rugby à XV, vendu au profesionnalisme et aux forces de l’argent). Or ce club est en proie à des difficultés financières, et a besoin de sous.
Comme M. Saïsset est abonné au Monde depuis 1978, on lui a promis qu’on ferait passer le message. Si vous souhaitez aider l’ASC XIII, appelez le 04 68 47 74 74 ou écrivez à communication@asc13.fr. Il en va de l’avenir de l’ASC XIII, donc de l’avenir de son président, donc de l’avenir de ses finances, donc de l’avenir de son abonnement au Monde, donc de l’avenir du Monde.