Kévin Mayer est devenu champion du monde du décathlon l’année dernière à Londres. / TIM IRELAND / AP

Deux jours d’effort presque sans discontinuer, dix épreuves éclectiques en forme de travaux d’Hercule et un état d’esprit empreint de solidarité, les décathloniens (ou les heptathloniennes) constituent une caste d’athlètes à part. Sportifs les plus complets au monde, ils laissent pourtant le vedettariat à d’autres, en particulier aux rois et reines du sprint.

A 26 ans, Kévin Mayer possède déjà un palmarès impressionnant. Le décathlonien français est vice-champion olympique, double champion du monde, en plein air et en salle, champion d’Europe indoor et vice-champion d’Europe en extérieur. Mardi 7 août, il débutera en immense favori les championnats d’Europe de Berlin qui s’annoncent comme la première étape vers un triomphe olympique qui lui semble promis en 2020.

Si sa notoriété est grandissante, elle n’a rien à voir avec celle dont il bénéficierait en dominant d’autres disciplines. Pas de quoi le perturber : « Je n’ai pas besoin de reconnaissance. Il n’y a aucune frustration personnelle. Moi, je me sens très bien comme ça. Vous savez, plus ma médiatisation est grande, plus ça me prend du temps et de l’énergie. »

En insistant un peu, le champion laisse apparaître quelques regrets. « Je suis par contre un peu frustré pour mon sport qui mériterait d’être plus connu. C’est sûr que dans ce contexte-là, de mon sport méconnu, j’aimerais être belge par exemple. Quand on voit Nafissatou Thiam [championne olympique d’heptathlon] qui est une légende en Belgique… J’ai des amis belges et c’est vraiment hallucinant !, lâche-t-il avant de donner quelques explications.  Là-bas, ils n’ont presque jamais de médailles en athlétisme et moins de médailles au total. En France, on a beaucoup de sports qui sont forts. Forcément, le décathlon, qui est en plus long et difficile à comprendre, se fond dans la masse. »

Coureurs de 100 m, spécialistes du 400 m ou du 800 m ou bien encore perchistes, les superstars des stades se recrutent dans des disciplines plus immédiatement spectaculaires. Et souvent, il est utile de combiner exploits sportifs et personnalité extravertie. Le néoretraité Usain Bolt en a longtemps été l’incarnation. « Bolt avait les résultats et la personnalité. Van Niekerk [recordman du monde du 400 m], qui réalise des choses extraordinaires mais qui est beaucoup plus réservé, est beaucoup moins mis en avant. Les gens viennent voir un spectacle », explique Kévin Mayer.

Le 19 juillet 2018 à Monaco. / ERIC GAILLARD / REUTERS

En France, dans les années 1980 et 1990, à une époque où l’athlétisme français était peut-être moins performant, l’exubérant décathlonien Christian Plaziat, « seulement » champion d’Europe, avait ainsi bénéficié d’une médiatisation importante sans jamais régner sur sa discipline au niveau mondial. Lucide, Kévin Mayer sait son importance dans le développement de son sport de prédilection : « La médiatisation, je la porte sur mes épaules. Je prends ce rôle vraiment à cœur. Si je fais champion olympique à Tokyo et que je fais champion d’Europe et du monde encore avant, les gens iront voir les autres décathloniens… »

Cet été, après les championnats d’Europe, le Drômois organise une journée particulière dédiée à la mise en lumière du décathlon. Sur la plage de Saint-Jean-de-Monts (Vendée), il proposera aux audacieux de participer à une initiation au décathlon. « N’importe qui pourra s’inscrire. On va mettre un tapis de perche, on fera 60 m au lieu de 100 m, 200 m au lieu de 400 m… Le but est de faire découvrir aux gens notre discipline », confie-t-il. Une deuxième journée de ce type aura lieu dans sa ville d’adoption et d’entraînement à Montpellier avant l’année prochaine de viser Paris si le succès est au rendez-vous.

Malgré ce constat, Mayer n’échangerait pour rien au monde sa discipline. Là où certains sont à la recherche de l’amour d’une foule toujours plus grande d’admirateurs, lui préfère la qualité d’un public de connaisseurs. Il faut être en effet presque aussi fou qu’un décathlonien pour suivre pendant quarante-huit heures cette épreuve si atypique.

« Il y a une vraie proximité avec notre public qui pour moi est le meilleur. A la fin, ils sont pratiquement aussi fatigués que nous tellement ils s’engagent, raconte le décathlonien, A Götzis [sorte de Mecque du décathlon en Autriche], l’ambiance est extraordinaire. Le stade est champêtre, les spectateurs plantent leur tente et leur parasol sur la colline d’herbes. Il y a un resto de saucisses et de bières. Ils connaissent les records de chaque athlète. Ils deviennent fous quand une concurrente passe 1,62 m à la hauteur car ils savent que sa meilleure performance était 1,59 m… C’est beau. On passe des moments privilégiés. »

Dans le stade olympique de Berlin, le Français retrouvera un public passionné, qui admire aussi bien les sprinteurs que les lanceurs ou les spécialistes des épreuves combinés : « J’étais devant ma télé en 2009 lors des Mondiaux de Berlin. Je me souviens de l’ovation incroyable lors du 1 500 m, la dernière épreuve du décathlon. » Mercredi soir, au terme du décathlon, les spectateurs allemands risquent cette fois-ci de célébrer le sacre de Kévin Mayer, le meilleur décathlonien au monde.