Tour de France : pourquoi l’on ne croit plus aux miracles
Tour de France : pourquoi l’on ne croit plus aux miracles
Par Clément Guillou (Envoyé spécial à Saint-Pée-sur-Nivelle, Pyrénées-Atlantiques)
Après le contre-la-montre vers Espelette, Geraint Thomas sera certain de remporter son premier Tour. Mais autour de lui, personne ne fait rien pour que l’on puisse être certain de la valeur de cette victoire.
20e ETAPE : SAINT-PÉE-SUR-NIVELLE - ESPELETTE, 31 KM CONTRE-LA-MONTRE
Grotte de Massabielle, vendredi. / JEFF PACHOUD / AFP
Le Tour s’est élancé de Lourdes, vendredi, et on a pris ça comme un message : « Si certains croient que la Vierge a fait là une apparition et qu’en venant ici, ils guériront de maux incurables, alors faites l’effort de croire à un vainqueur propre du Tour de France. » On a pensé à l’homme dont il ne faut pas prononcer le nom, zéro Tour de France remporté, sept fois sur la plus haute marche du podium des Champs-Elysées : « Je suis désolé que vous ne puissiez pas croire aux miracles. » Dans le vélo, personne ne croit plus aux miracles. Il faut juste s’accorder sur ce qui en est un.
Un Slovène qui se met au vélo à 22 ans et monte, six ans plus tard, sur le podium du Tour, est-ce un miracle ? Un honnête cycliste britannique qui, à 26 ans, devient en deux mois le meilleur du monde grâce à la perte de quatre kilos, est-ce un miracle ? Un spécialiste gallois de la poursuite sur piste qui, à 32 ans, remporte le Tour de France, est-ce un miracle ?
Pour ce dernier cas, on aurait tendance à répondre que non.
Et pourtant, personne n’y croit : on a parlé Tour de France chaque matin dans les cafés des villes départs. Parmi les Français, il faut créer des dossiers et des sous-dossiers. Ceux qui regardent le Tour ; ceux qui regardent la course ; ceux qui croient à la régularité de la course qu’ils regardent. Dans ce dernier dossier, il n’y a plus personne. Ils respectent, bien sûr, les efforts et les souffrances, adhèrent au mythe des forçats de la route. Mais les dés leur semblent pipés.
Si personne ne croit en lui, à qui Geraint Thomas doit-il en vouloir ? A tous ceux qui ne pédalent pas.
- La presse, dont une partie ne gobe plus tout cru ce qu’on veut lui faire croire. Elle a globalement cessé de poser des questions, car il n’y a pas de bonne réponse, sur ce sujet-là. Un confrère anglophone a tenté, vendredi, s’excusant par avance de demander à Geraint Thomas comment on pouvait le croire. Le Gallois n’a même pas fait semblant - il a raison : « Je ne peux rien dire pour vous prouver (mon honnêteté). » Tout de même, en farfouillant dans ses pochettes, il a trouvé un disque rayé : « Je peux dire que je fais les choses de la bonne façon, l’équipe aussi. On s’entraîne très dur. Mes résultats résisteront à l’épreuve du temps. »
- Le manager de l’équipe Sky, Dave Brailsford, accusé d’avoir créé, avec l’ex-entraîneur Shane Sutton, un environnement dans lequel des médicaments étaient détournés pour améliorer les performances sportives. Le président de l’Union cycliste internationale (UCI) en personne a qualifié ces pratiques de dopage. Beaucoup de questions posées au patron de la Sky sur les pratiques médicales de l’équipe sont restées sans réponse. La presse britannique réclame son départ.
- L’instance antidopage du cyclisme, la CADF, qui semble se contenter d’avoir jugulé le dopage sanguin et ne déclare plus qu’un cas positif par an en moyenne dans le World Tour. Il y a dix ans, les grands du sport tombaient par paquets, faisant naître par ricochet l’espoir que les autres n’avaient rien à se reprocher. Ce n’est plus le cas. La possibilité de contrôles rétroactifs, permettant de profiter des perfectionnements des tests de détection, n’est jamais saisie. Surtout, ne prendre aucun risque. La peur du « faux positif », comme dans le cas de Froome, guide les décisions. Le Monde a eu connaissance de deux cas récents, sur le Tour 2015 et dans les jours précédents le Tour 2017, de contrôles qui auraient pu - dû ? - être déclarés positifs, finalement tenus secrets. Deux Français. Le Tour est sous bonne garde… Le dernier positif en course remonte à 2012, si l’on omet Luca Paolini, contrôlé positif à la cocaïne en 2015.
- L’Agence mondiale antidopage (AMA), dont la faiblesse, longtemps, vis-à-vis de la Russie, et l’incapacité à appliquer son règlement dans celui de Christopher Froome, a laissé s’installer l’idée que selon que vous serez puissant ou misérable, ses jugements vous rendraient blanc ou noir.
- L’environnement : positif en 2007, Alexander Vinokourov traîne devant le bus d’Astana, dont il est le patron ; la Quick-Step, qui réalise une saison extraordinaire, n’a pas trouvé d’autres médecins qu’Yvan Van Mol et José Ibarguren Taus, accusés par le passé - mais jamais condamnés - d’avoir facilité la prise de produits dopants. Nous avions demandé l’an passé à Patrick Lefevere, patron de l’équipe, pourquoi prendre de tels risques avec l’image de son équipe et du vélo : « Ce sont des hommes de confiance. On a tous fait des erreurs, mais il faut voir le contexte. J’ai été éduqué par la Bible : que celui qui n’a jamais pêché me jette la première pierre. » On en revient à Lourdes.
Geraint Thomas est seul. Son parcours est plus crédible que son équipe et que les instances qui la surveillent - c’est dire où nous en sommes rendus. A ce stade, le miracle serait que le public du Tour retrouve un jour la foi.
Départ de Geraint Thomas à 16 h 29, arrivée environ 45 minutes plus tard.
Le Tour du comptoir : Lourdes
Chaque matin du Tour, En danseuse vous envoie une carte postale du comptoir d’un établissement de la ville départ de la veille.
Dans le Sud-Ouest, chacun sait qu’il ne faut jamais traverser le centre-ville de Lourdes. Que c’est une porte ouverte sur l’enfer, automobile s’entend. Heureusement pour le café « Aux armes de Belgique », beaucoup de monde vient dans le coin expressément pour aller dans le centre-ville de Lourdes. Le bistro, ainsi nommé pour attirer les nombreux pèlerins belges au siècle dernier, survit depuis près d’un siècle sur le boulevard de la Grotte. La famille Barzu tient le bazar depuis 1937, cinq générations.
Voilà Luc, un client bigourdan, avec trois R précise-t-il, qui a l’impression que partout où il se rend, on lui tape dessus parce qu’il vient de Lourdes. Au motif que les Lourdais feraient de l’argent avec la religion, qu’il y aurait des magouilles autour des cierges, qu’on ne sait pas vraiment si l’eau est bénite ou si c’est de la Contrex. Et alors ? dit Luc. On voudrait qu’on distribue les statuettes de plâtre de la Vierge de la main à la main ? « Toi qui es athée, ça ne devrait pas te choquer qu’on fasse du commerce autour de la religion, non ? » Il a raison. D’ailleurs, peut-on être Lourdais et athée ? Luc a l’air fatigué des histoires de religion mais lâche quand même : « Ça va, on ne rentre pas dans les ordres au prétexte qu’on vit ici. Le gamin qui passe en fauteuil roulant, il vient chercher quelque chose. Il n’y a rien à dire. On est dans le respect. »
Chacun fait avec ce qu’il a : Lourdes n’a pas de voie vers l’Espagne, pas de passage, pas d’usine. Mais elle a un miracle. « Lourdes, c’est un petit trou du cul de 13 000 habitants, reprend Luc. Alors voilà, on a la religion. Mais regardez autour : le ski, le vélo… Il faudrait qu’on arrête de penser qu’à la grotte. »
Faute de devenir une terre de base pour les escapades cyclistes, Lourdes tente de développer son statut de ville du chemin de Saint-Jacques de Compostelle, elle qui figure sur la voie du Piémont pyrénéen, le moins emprunté des quatre chemins de Saint-Jacques en France. On n’appellera pas encore ça de la diversification.