TV – « Chine, l’empire du temps »
TV - « Chine, l’empire du temps »
Par Philippe-Jean Catinchi
Notre choix du soir. Cédric Condon retrace, avec les qualités et défauts du docu-fiction, le parcours des jésuites dans l’empire au XVIe siècle (sur Arte à 20 h 50).
Chine : l'Empire du Temps / Empire of Time (Bande Annonce)
Durée : 02:23
Imagine-t-on une querelle scientifique dont l’enjeu soit la pronostication d’une ombre censée dire la meilleure méthode pour établir un calendrier ? Ce défi, voulu par l’empereur de Chine Kangxi (1661-1722), entendait à la fois établir son autorité contre les régents qui gouvernaient en son nom – il était monté sur le trône à 6 ans – et trancher une querelle qui courait depuis le début du siècle entre le savoir traditionnel chinois et la science occidentale incarnée par la Compagnie de Jésus.
C’est l’usage des logarithmes que maîtrisait le père Ferdinand Verbiest (1623-1688) qui permit aux jésuites de l’emporter, mais l’épilogue restait fragile, car le débat contradictoire laissa bien des cicatrices et les tensions entre les Chinois et les étrangers n’en restèrent que plus vives. Il n’empêche ! Verbiest fut conséquemment nommé en 1669 à la tête du bureau de l’astronomie, contrôlant l’établissement du calendrier qui relevait du mandat du ciel dévolu à l’empereur. Un succès soldant un long combat que résument trois tombes jésuites au cimetière Zhalan de Pékin, rappelant que le débat eut ses héros et ses victimes : de l’Italien Matteo Ricci (1552-1610) au Flamand Verbiest, en passant par l’Allemand Johann Adam Schall von Bell (1591-1666), même si la peine de mort prononcée contre lui par le pouvoir mandchou fut commuée en résidence surveillée à vie.
Des astronomes chinois dans la « Chine, l’empire du temps ». / Point du jour
Depuis la venue en Asie du père Ricci dans les années 1580, les jésuites adoptèrent une ligne de conduite aussi rare que subtile. Estimant, à juste titre, très élevé le degré de civilisation de la Chine comme du Japon, ils entendirent se servir de l’engouement de ces empires pour les sciences – notamment la géométrie et l’astronomie – pour implanter le christianisme grâce aux savoirs européens dans ces disciplines qu’ils y importaient prioritairement.
Habile, la manœuvre fut payante, en Chine, tant que les empereurs, soucieux d’une rigueur indispensable pour mesurer le temps, établir les horoscopes et les prévisions atmosphériques comme astrologiques, protégèrent les détenteurs d’un savoir nouveau et enfin fiable.
Tenus pour des traîtres
Jusque-là, les erreurs, nombreuses, menaçaient la réputation du souverain comptable du lien entre le ciel et la terre, donc les savants responsables sévèrement sanctionnés. Matteo Ricci mesure l’enjeu pour le christianisme, séduit l’empereur Wanli (1572-1620), forme des disciples sur place tel le mathématicien Xu Guangqi (1562-1633) qu’il convertit et demande à Rome des pères jésuites spécialisés en astronomie afin d’asseoir la religion romaine.
Mais qu’un règne s’achève, qu’une révolte renverse une dynastie – le dernier des Ming, l’empereur Chongzhen (1627-1644), se suicide pour éviter d’être pris –, que de nouveaux maîtres se défient de ces Occidentaux protégés par leurs prédécesseurs, et tout est à refaire.
Tenus pour des traîtres, des hérétiques aussi, les jésuites connaissent ainsi des heures sombres et les fonctionnaires indigènes qu’ils ont convaincus ou formés paient parfois de leur vie leurs convictions scientifiques. C’est ce passionnant conflit bien peu connu que le documentaire de Cédric Condon, tourné en Chine, relate avec les qualités et les défauts de ces docu-fictions où les scènes dramatiques convainquent peu. Mais le sujet se prête mal à un lyrisme porteur et la précision du débat justifie pleinement qu’on suive les deux volets de l’évocation.
Chine, l’empire du temps, de Cédric Condon (Fr., 2017, 2 × 55 min).