A Ouagadougou, le crépu n’effraie plus
A Ouagadougou, le crépu n’effraie plus
Rejet des cosmétiques dangereux et volonté de créer leurs propres canons de beauté : de nombreuses Burkinabées disent adieu au défrisage.
Barakissa Fofana dans son salon de coiffure, Black and Kpata (« noire et belle », en nouchi, l’argot ivoirien), à Ouagadougou. / Sophie Douce
« Attends je me peigne, il faut mettre mon afro en valeur ! » Sa chevelure crépue, Barakissa Fofana en est fière : elle la porte ainsi depuis dix ans maintenant. Dernier regard dans le miroir, énième coup de brosse et grand sourire. « Voilà ! » s’exclame-t-elle devant la glace de son petit salon de coiffure encombré de lotions et d’accessoires capillaires, à Saaba, un quartier périphérique de Ouagadougou, la capitale du Burkina Faso. Bienvenue chez Black and Kpata (« noire et belle » en nouchi, l’argot ivoirien), où le cheveu crépu est roi. Pour Barakissa Fofana, pas question de lissage, de défrisage ou de fausses mèches. Elle se revendique nappy (contraction de « natural and happy », « naturelle et heureuse » en anglais), une tendance née au début des années 2000 aux Etats-Unis.
Cette Ivoirienne de 35 ans, coupe afro, tailleur noir et hauts talons orange, raconte son déclic : « Un jour, j’ai voulu me défriser, mais le produit dont je me suis servie m’a complètement brûlé le crâne. Après cet accident, j’ai commencé à faire des recherches sur le cheveu africain, comment l’entretenir et le soigner. » Elle a monté son salon, l’un des rares spécialisés dans le nappy à Ouagadougou, en 2015. « Beaucoup de femmes pensent qu’entretenir une chevelure crépue est compliqué et prend du temps, mais on peut s’amuser avec sans la détruire en utilisant des produits toxiques ! » prêche-t-elle, tout en concoctant un baume à base de beurre de karité, d’huile d’avocat et d’aloe vera.
Des produits à base d’acide et de soude
« Afro puff », « vanilles » (nattes torsadées) ou encore « dreads », les coiffures dites nappy, inspirées de styles traditionnels, s’affichent peu à peu dans les rues de la capitale. « Les Burkinabées sont de plus en plus créatives. Depuis quelques années, il y a une prise de conscience que certains produits peuvent être dangereux pour la santé », observe Mina Touré, styliste de 25 ans qui a lancé en 2015 le festival Nappy Days, où se mêlent conférences, ateliers et vente de cosmétiques.
Dans les boutiques de la ville, extensions capillaires et kits de défrisage pour adultes ou enfants trônent pourtant sur les étals à côté des crèmes éclaircissantes pour la peau. « Lissage soyeux », « cheveux plus longs » promettent ces lotions « miracles ». Problème : la plupart d’entre elles contiennent des composants dangereux, tels que de l’acide thioglycolique, également présent dans les crèmes dépilatoires, ou même de la soude caustique, utilisée pour briser les molécules de kératine et rendre la fibre raide. Une étude publiée en 2012 dans l’American Journal of Epidemiology par des chercheurs de l’université de Boston pointe d’ailleurs un possible lien entre l’emploi de produits défrisants, contenant des perturbateurs endocriniens, et l’apparition de fibromes utérins.
Si la relation de cause à effet dans ce domaine reste à prouver, l’usage de ces cosmétiques n’est pas sans conséquences. Au salon Black and Kpata, Inès Zongo, une cliente de 21 ans, tresses sur la tête, témoigne : « Avant, je faisais un défrisage au moins une fois par mois, mais ça détruisait mon cuir chevelu. » A côté d’elle, Stéphanie Zongo, 29 ans, animatrice à la télévision burkinabée, dresse le même constat : « J’ai décidé de ne plus me lisser les cheveux il y a trois ans pour arrêter les dégâts, ça me brûlait le crâne et je les perdais. Pourquoi continuer à supporter cette torture ? » Mais pour cette vedette du petit écran, assumer du jour au lendemain son nouveau look sur les plateaux n’a pas été simple. « Je me rappelle la première fois où je suis arrivée avec ma coupe afro, on m’a dit : ‘‘Tu vas te coiffer ? On est à la télé quand même, tu ne vas pas passer avec cette tête !’’ » rapporte la jeune femme au crâne surplombé d’un haut chignon crépu.
« Africaine et fière de l’être ! »
La mode du cheveu lisse, calquée sur les canons de beauté occidentaux, a la vie dure au Burkina Faso. A la télévision, sur les pancartes publicitaires ou dans les magazines, la femme est souvent représentée avec la même silhouette : corps galbé, peau claire et cheveux lissés. « On a grandi avec ces images. Depuis qu’on est toutes petites, on nous dit qu’il faut avoir les cheveux raides, que le crépu fait négligé. Le nappy a été une libération pour moi, je me sens belle comme ça », confie Mina Touré, promotrice d’un « nouveau départ capillaire ».
« Dès l’enfance, on trouve nos boucles “rebelles”, on souffre quand on nous les brosse : déjà, notre chevelure devient une contrainte. Quand tu es défrisée, par contre, tu deviens “belle”, voilà tout ce qu’on enseigne aux petites filles. Il y a un problème d’estime de soi, la femme noire se déprécie », pointe Hortense Atifufu, 37 ans, alias Hada Hada sur les réseaux sociaux. Elle est l’une des premières à avoir introduit le nappy dans le pays, il y a sept ans, après avoir observé l’émergence du mouvement au sein de la diaspora en Europe. Pour elle, retrouver sa « vraie » nature de cheveux est une manière de se réconcilier avec son « africanité ».
« Il faut nous assumer telles que nous sommes. Je suis Africaine et fière de l’être ! » abonde Barakissa Fofana, qui a dû faire face à la réticence de son fiancé lorsqu’elle a adopté une coupe afro. Pour Dalila Yaro, étudiante de 23 ans et cofondatrice des Nappy Days, la démarche est aussi « politique ». « Couper mes cheveux, c’était une manière de m’affirmer, de faire ce que je veux : je n’ai jamais aimé les tresser ni les lisser. A travers ce geste, j’encourage les filles à prendre confiance en elles et à prendre conscience de la beauté de la femme noire », explique cette influenceuse engagée dans la lutte contre la dépigmentation.
Icône du mouvement nappy en France, Juliette Sméralda, sociologue martiniquaise et auteure de Peau noire, cheveu crépu : L’histoire d’une aliénation (éd. Jasor, 2005), analyse : « Les femmes noires vivent dans un monde qui les ostracise. Du fait qu’elles subissent discriminations et rejets, elles ont des difficultés à être libres dans leur corps. La soumission aux diktats des canons esthétiques occidentaux explique le rapport complexe et conflictuel qu’elles entretiennent avec leurs cheveux. »
Cheveux afro : vérités et enjeux
Durée : 04:51