Au Zimbabwe, tous les camps s’annoncent vainqueur de la présidentielle
Au Zimbabwe, tous les camps s’annoncent vainqueur de la présidentielle
Par Jean-Philippe Rémy (Harare, envoyé spécial)
Au lendemain du premier scrutin post-Mugabe, la tension monte entre la formation d’Emmerson Mnangagwa et celle de l’opposant Nelson Chamisa.
Un camion des forces de l’ordre passe devant des partisans du MDC manifestant leur joie, à Harare (Zimbabwe), le 31 juillet 2018. Le parti d’opposition dit avoir remporté l’élection présidentielle. / MARCO LONGARI / AFP
Quand tout le monde pense avoir gagné une élection, et que personne n’a le droit de le dire mais ne peut s’empêcher de le crier, on obtient fatalement un résultat un peu étrange et une situation un peu dangereuse. C’est précisément ce qui est en train d’arriver au Zimbabwe, au lendemain d’un scrutin exceptionnel qui doit décider de l’avenir du pays, huit mois après la chute de Robert Mugabe.
Du côté de l’opposition, Nelson Chamisa, le candidat du Mouvement pour le changement démocratique (MDC), a commencé dès le matin, mardi 31 juillet, par un Tweet un peu tordu, sorte de cri de victoire tourné de façon à ne pas crier tout à fait victoire, chose qui aurait eu pour effet immédiat de le faire arrêter par la police.
Préempter la suite des événements
Dans l’après-midi, un de ses proches au sein de la galaxie complexe du MDC monte au créneau à son tour, lors d’une conférence de presse cette fois, organisée dans l’immeuble historique du parti, dans le centre-ville de Harare. Tendai Biti, ex-ministre des finances (au temps du gouvernement d’union nationale, auquel il participait comme opposant), prend infiniment moins de gants pour annoncer que le MDC a collecté des résultats de bureaux de vote à l’échelle du pays. Il dit que la formation a fait ses comptes et est en mesure d’affirmer que « les résultats montrent au-delà de tout doute raisonnable que nous avons gagné les élections et que le prochain président du Zimbabwe est Nelson Chamisa ». Si ce n’est pas une proclamation de victoire, cela commence furieusement à y ressembler.
Tendai Biti a conscience de franchir une limite. C’est une stratégie, pas un dérapage malencontreux. Il dit aussi que Constantino Chiwenga, l’ex-chef de l’armée désormais à la fois vice-président et ministre de la défense, « a donné l’ordre d’assassiner Nelson Chamisa et moi-même ». C’est une accusation, naturellement, d’une extrême gravité. Il y a quelques jours, il avait annoncé avoir eu un accident de voiture dans des circonstances étranges, percuté par un véhicule qui a pris la fuite. Le MDC considère qu’il s’agit d’une première tentative d’élimination, selon une méthode qui est, du reste, un grand classique des services de sécurité au Zimbabwe. Mais, en l’occurrence, impossible de savoir s’il s’agit de faits ou d’un montage.
Tendai Biti répète en tout cas que les calculs de sa formation sur la base des résultats collectés dans un nombre raisonnable de bureaux de vote (il y en a 11 000 à travers le pays) sont « un fait », et qu’il demande maintenant à la Commission électorale du Zimbabwe (ZEC) d’accélérer les décomptes et de proclamer les résultats. Une façon d’essayer de préempter la suite des événements, de mener le jeu, en quelque sorte, mais aussi de tendre le climat. « Il y a des preuves que des individus sont en train de changer les résultats. Ne les laissez pas faire, ne plongez pas le Zimbabwe dans le chaos », a-t-il ainsi insisté.
Pousser le pouvoir à la faute
En bas de l’immeuble, une poignée de supporters du MDC à l’allure très modeste s’est regroupée pour tenter un début de manifestation de joie. Il n’est pas certain que la fête durera longtemps. Des canons à eau sont en train de bouger sur les grands axes pour tempérer les effusions de joie prématurées. Seulement, comme rien ne se fera avec des déclarations, le MDC, qui le sait, cherche à pousser le pouvoir à la faute.
Du côté de la ZANU-PF, le président Emmerson Mnangagwa, successeur de Robert Mugabe après le coup d’Etat de novembre 2017, annonce aussi une façon de victoire sans oser le formuler de façon explicite. « Les données que nous recevons de nos représentants dans le pays sont extrêmement positives, a-t-il affirmé. Nous attendons impatiemment les résultats officiels, comme le requiert la Constitution. »
Après le vote dans l’enthousiasme de lundi, il reste cinq jours à la ZEC pour annoncer le résultat qu’un pays attend dans une tension croissante. Mardi, la présidente de la commission, la juge Priscilla Chugumba, n’a pas dit grand-chose, mais a mis en garde : « Il est strictement interdit par la loi d’annoncer des résultats. »