« My Lady » : raide comme la justice
« My Lady » : raide comme la justice
Par Thomas Sotinel
Tiré d’un roman de Ian McEwan, le film de Richard Eyre met en scène une magistrate jouée par Emma Thomson, figée dans son quant à soi.
La lady du titre est une lointaine descendante des magistrats dickensiens. Comme eux, elle habite l’une des inns of court londoniennes – Gray’s Inn, en l’occurrence – et vit en circuit fermé dans les hautes sphères juridiques du royaume. Devant la caméra de Richard Eyre, entre les lignes du scénario que l’écrivain britannique Ian McEwan a adapté de son propre roman (L’Intérêt de l’enfant, Gallimard, 2015), Fiona Maye (Emma Thompson) est une femme moderne, connectée, consciente des enjeux médiatiques de sa profession – magistrate à la haute cour, versée dans les affaires familiales.
C’est un personnage idéal – intelligent, drôle et inflexible – pour cette actrice-là, et pourtant My Lady, drame à enjeux de société, ne prend pas tout à fait vie, malgré l’abondance de détails que versent au dossier metteur en scène, scénariste et actrice. Ces éléments qui, dans les romans de McEwan, s’imbriquent si souvent naturellement – les conflits de classes et ceux du cœur, la pression sociale et les élans de la libido – restent ici presque inertes, comme les ingrédients d’une réaction chimique qui jamais ne survient.
Fiona Faye vit donc une vie de surmenage heureux en compagnie de Jack (Stanley Tucci), son mari, qui passe ses journées à enseigner la philosophie et ses soirées à attendre que sa femme vienne se coucher. Le portrait du couple est convenu, mais on passera cette facilité aux auteurs, puisqu’il s’agit de montrer dans leur habitat naturel un couple de représentants d’une classe soumise aux conventions.
Juristes mélomanes
Plus divertissante est la description du quotidien professionnel de la juge Faye, ses relations avec son clerc, sa facilité à remettre plaignants et accusés à leur place. Elle est aussi un peu artiste et chante en compagnie d’autres juristes mélomanes. Il fallait bien une affaire hors du commun pour mettre à bas cet édifice instable (Jack en a assez d’attendre sa femme et menace de prendre une maîtresse), mais inébranlable. L’élément perturbateur prend le physique tourmenté et séduisant d’Adam (Fionn Whitehead), un garçon atteint d’un cancer du sang, dont les parents, témoins de Jéhovah, refusent qu’il soit transfusé.
Appelée à se prononcer sur son cas, Fiona Faye décide de se rendre à son chevet. C’est à ce moment que devrait se produire la détonation attendue, celle que provoque le contact entre les principes inébranlables d’une femme sûre de sa supériorité intellectuelle et sociale et son regret de ne pas avoir eu d’enfant, entre les principes religieux d’un garçon exalté et sa pulsion vitale adolescente.
Scènes de ménage
Alors que le très intense Fionn Whitehead (il faut convenir qu’un maquillage aussi spectral fait beaucoup pour l’intensité) se jette à corps perdu dans son personnage, Emma Thompson tient à rester sur son quant-à-soi. Non qu’elle soit exempte de doutes, mais ceux-ci mêmes font l’objet d’une dissection si précise que leur humanité s’évapore au profit de spéculations intellectuelles et éthiques. Il faut toute la pluie dont est capable un ciel britannique pour que le personnage se décompose un peu.
De toute façon, la partie ambiguë qui se joue entre le jeune malade et la magistrate est entrecoupée de scènes de ménage opposant les vieux époux au bout du rouleau, une alternance qui empêche le fluide vital de circuler au point que l’on prêterait presque de vilaines pensées à Ian McEwan : on a parfois l’impression de voir une femme qui a sacrifié sa vie d’épouse et de mère à sa profession et s’en trouve fort malheureuse. Ce qui est sûrement le contraire de ce qui devait être le propos de My Lady.
MY LADY - Bande annonce
Durée : 01:26
Film britannique de Richard Eyre. Avec Emma Thompson, Stanley Tucci (1 h 45). Sur le web : www.lecinemaquejaime.com, www.facebook.com/ArpSelection/
Les sorties cinéma de la semaine (mercredi 1er août )
- Mario, film suisse de Marcel Gisler (à voir)
- Arythmie, film russe de Boris Khlebnikov (à voir)
- Happiness Road, film d’animation taïwanais de Hsin Yin Sung (à voir)
- The Bacchus Lady, film sud-coréen d’E. J-yong (pourquoi pas)
- Mission : Impossible - Fall Out, film américain de Christopher McQuarrie (pourquoi pas)
- My Lady, film britannique de Richard Eyre (pourquoi pas)
A l’affiche également
- Contrôle parental, film américain de Kay Cannon
- Une Famille italienne, film italien de Gabriele Muccino
- Les Versets de l’oubli, film français, allemand, néerlandais et chilien d’Alireza Khatami