La Thaïlande au vitriol
La Thaïlande au vitriol
Par Adrien Le Gal
Dans « Idées reçues sur la Thaïlande », la chercheuse Eugénie Mérieau livre une critique sans concession du fonctionnement politique du royaume.
Le livre. Tout commence par une inscription ancienne, décrivant une société idyllique : la « stèle de Ramkhamhaeng ». « Dans les champs, il y a du riz, dans l’eau, il y a des poissons », peut-on lire, en alphabet siamois, sur cette pierre, découverte au XIXe siècle et datée du XIIIe siècle, que de nombreux Thaïlandais considèrent comme la première Constitution du royaume. Cela suffit-il pour affirmer que le pays avait rédigé sa Magna Carta au même moment que l’Angleterre, preuve de la maturité de son système politique ? En aucun cas, répond la chercheuse Eugénie Mérieau : d’une part, aucun Parlement n’a vu le jour dans le royaume sud-est asiatique avant le XXe siècle. Par ailleurs, l’authenticité de la « stèle de Ramkhamhaeng » n’a jamais été établie.
Tout le livre « Idées reçues sur la Thaïlande » est à l’avenant. Sous couvert d’une approche pédagogique, à laquelle les fidèles de cette collection sont habitués, Eugénie Mérieau tranche dans le vif. La loi sur le lèse-majesté ? Elle ne fait pas « partie intégrante de la culture thaïlandaise ». Les achats de voix, qui ôteraient toute valeur aux élections pluralistes ? Ils n’altèrent pas réellement la sincérité d’un vote à bulletins secrets. L’ignorance et l’inculture des populations rurales du Nord-Est, argument récurrent des élites thaïlandaises pour justifier leur domination ? Un cliché daté – il suffit de se rendre sur place pour le constater.
Eugénie Mérieau remet d’ailleurs en cause le qualificatif de « monarchie constitutionnelle » pour décrire le royaume, constatant que le régime s’appuie largement sur l’armée et « se passe entièrement à la fois d’élections et de Parlement ». « Cette définition se révèle au mieux ineffective pour offrir un aperçu du fonctionnement des institutions, au pire délétère, en ce qu’elle obstrue tout à fait la réflexion concernant les institutions politiques thaïlandaises et leurs modus operandi », estime-t-elle.
La « soumission » des Thaïlandaises
De telles critiques du régime sont courantes parmi les chercheurs étrangers ou en exil – rien de tel ne pourrait être publié en Thaïlande, où critiquer le roi, même de façon détournée, mène directement en prison. Plus originales sont les déconstructions d’idées reçues sur la société thaïlandaise.
Ainsi, rappelle la chercheuse, être gay ou lesbienne dans le royaume n’a rien de simple. Car si les Thaïlandais acceptent l’idée qu’un homme puisse être « né dans un corps de femme » et réciproquement, il convient à leur sens de corriger cette « erreur de la nature » au moyen du transexualisme – qui permet, au final, de réaffirmer la norme hétérosexuelle.
Par ailleurs, si le tourisme sexuel est une réalité, la clientèle de la prostitution est en majorité locale. Quant à la Thaïlandaise, qui serait volontiers « soumise », ce cliché n’a rien d’innocent : il est le résultat d’une opération de marketing des gouvernements autoritaires, visant à attirer les visiteurs étrangers et à faire apparaître leur dictature comme plus « soft ».
« Idées reçues sur la Thaïlande », d’Eugénie Mérieau, éd. Le Cavalier bleu, 141 pages, 12 euros.