Porte de La Chapelle, au carrefour de la détresse
Porte de La Chapelle, au carrefour de la détresse
Par Clara Tran
Dans ce quartier de Paris où se croisent migrants et toxicomanes, la situation se dégrade de jour en jour.
A La Chapelle, à Paris, le 13 avril, « la Chapelle, porte de l’enfer ». / CHRISTOPHE ARCHAMBAULT / AFP
Mercredi 8 août, sous le pont qui traverse le boulevard Ney à Paris. Il est un peu plus de 9 heures. Souleymane, un Sénégalais qui « parle un peu arabe », s’improvise traducteur entre un jeune migrant en détresse, qu’il a trouvé à 5 heures du matin allongé sur le terre-plein central de ce boulevard du 18e arrondissement, et les forces de l’ordre. « Il était mal, il avait froid. Depuis hier, il n’a rien mangé. Il n’a plus d’appétit, il ne boit plus », explique le jeune homme arrivé ici depuis plusieurs semaines par la Libye. Dans l’attente des secours, un policier traverse le boulevard au pas de course.
Sur le trottoir d’en face, des bénévoles d’Aurore, une association mandatée par la Mairie de Paris dans l’urgence fin juillet, lui tendent un bidon d’eau. Depuis le mois d’août, ils distribuent chaque jour aux migrants des petits déjeuners. Ce matin-là, en l’espace de deux heures et demie, ils distribuent 900 repas. « C’est plus que prévu, constate Lamine, l’un des responsables de l’association. On ne peut pas les laisser sans rien. Mais on est obligé d’empiéter sur les stocks et ça veut dire qu’on en aura moins pour les prochains jours. » Au menu : du café, des gâteaux, une compote et un carré de chocolat.
« C’est une collation de maternelle, pas un vrai repas », estime Sarah, une riveraine, très investie au sein du collectif Solidarité migrants Wilson. Après vingt mois de distribution quotidienne de petits déjeuners, le collectif a décidé d’interrompre son action, fin juillet. Dans l’espoir de faire évoluer la situation et de revenir sur place à la rentrée : « C’était devenu impossible, explique Sarah. On ne faisait pas le poids face aux crackers, on n’avait pas de vigiles. Donc on a demandé à la Mairie de prendre ses responsabilités. » Les crackers ? Des jeunes toxicomanes ravagés par le crack qui ont investi ce quartier entre périphérique et tramway et qui se livrent à toutes sortes de trafics.
Depuis le mois d’août, des agents de sécurité envoyés par la Mairie s’appliquent à filtrer cette population très vulnérable, capable de violence sous les effets du manque. Malgré la fermeture d’un centre d’accueil pour les usagers de drogue et l’évacuation, fin juin, d’un campement sauvage, en bordure du périphérique – surnommé « la colline du crack » –, les « crackers » continuent de déambuler dans le quartier. Et de venir se greffer aux réfugiés lors des distributions alimentaires. Pour éviter que ça tourne mal entre eux et les migrants, les bénévoles d’Aurore installent chaque matin des barrières de sécurité.
« Gérer l’ingérable »
Ici, la majorité des migrants sont des hommes. Majeurs pour la plupart, ils sont en France depuis peu, ou ont fui au printemps le recensement administratif post-évacuation des campements du canal Saint-Martin et du site du « Millénaire », près de la porte de La Villette. Ils sont originaires d’Erythrée, d’Afghanistan, du Mali ou d’Irak, pour l’essentiel. Ils sont épuisés, sous-alimentés, dans un état sanitaire particulièrement fragile. « Cela fait trois jours que je ne peux pas manger, explique Amine, un jeune Marocain. J’ai chaud, je vomis, je ne peux plus boire. »
« On essaye de gérer l’ingérable, admet Sylvain Lemoine, directeur adjoint du cabinet d’Anne Hidalgo à la Maire de Paris. Personne n’a la bonne solution. Mais nous intervenons en bout de chaîne. Le fond du problème, c’est l’hébergement, qui ne relève pas de notre compétence mais de celle de l’Etat. » Un point de vue partagé par Dominique Versini, maire adjointe aux solidarités, à la lutte contre l’exclusion, à l’accueil des réfugiés et à la protection de l’enfance : « Notre priorité, c’est que les réfugiés sortent de la rue. C’est pour cela que nous apportons notre aide à l’Etat (…). Nous organisons ensemble des opérations de mise à l’abri plusieurs fois par semaine et nous avons mis trois gymnases municipaux à disposition pour héberger les personnes. »
Les bénévoles du collectif se sont donné jusqu’au 7 septembre pour décider de l’avenir de Solidarité migrants Wilson, au côté ou non de la Ville de Paris. En attendant, les riverains continuent de prêter main-forte aux migrants. La bénévole l’avoue : « Les migrants sont à bout. » Ils sont les premières victimes des tensions et de la confusion qui règnent dans le quartier de la porte de La Chapelle. Depuis le début de l’été, 12 000 gourdes ont été distribuées par la Ville de Paris. Des rampes et des W-C ont été installés dans le quartier. Mais la situation reste difficile. De nombreux migrants souffrent du manque d’eau. Certains n’utilisent que rarement les gourdes mises à leur disposition et plus rarement encore les sanitaires. « C’est plein de maladies, c’est sale », indique Omar, un Malien de 29 ans, en passant devant un urinoir rempli de bouteilles vides.
Il est 12 h 30, l’association Aurore vient de retirer les tables et les barrières de sécurité. Les bénévoles passent les derniers coups de balais. A cette heure, Omar devrait déjà être avec Ilyas, le Marocain avec qui il partage une couverture dans un campement de fortune, situé à Saint-Ouen (Seine-Saint-Denis), de l’autre côté du périphérique. A son arrivée, Ilyas somnole. « Je n’ai pas bu depuis seize heures », explique-t-il. Alors, Omar se rend dans le supermarché le plus proche, acheter de l’eau. Il laisse derrière lui son campement, les panneaux de la Ville de Paris qui lui servent de toit et le petit drapeau tricolore qu’il a accroché à l’entrée de son « chez lui », telle une oriflamme.