Alex Jones, figure de proue du conspirationnisme américain
Alex Jones, figure de proue du conspirationnisme américain
Par Aurore Gayte
L’animateur radio le plus polémique des Etats-Unis s’est fait bannir de plusieurs réseaux sociaux lundi, mais il reste l’une des personnes les plus influentes outre-Atlantique.
Alex Jones, le 18 juillet 2016 à Cleveland. / Lucas Jackson / REUTERS
Le 2 décembre 2015, Alex Jones interviewait pendant trente minutes Donald Trump, alors grand favori pour l’investiture républicaine. Le complotiste, quasiment inconnu en dehors des Etats-Unis, devient alors un interlocuteur crédible, à la « réputation incroyable », selon le magnat de l’immobilier. Jones se targue depuis d’influencer le président :
« C’est incroyable d’entendre Donald Trump répéter mot pour mot des informations partagées dans notre show deux jours plus tôt. »
Mais qui est vraiment Alex Jones ? Longtemps resté un illustre inconnu, il ne brillait que par ses crises de colère, sa voix rocailleuse, son visage rond et sa coupe de cheveux souvent tournés en dérision. Jones s’est fait une place à part dans le paysage médiatique américain.
Le tournant du 11-Septembre
Né en 1974 au Texas, Alex Jones est le fils d’un dentiste et d’une mère au foyer. Après une enfance « très classique », comme il l’explique au magazine Rolling Stone dans une très longue interview accordée en 2011, il découvre, alors qu’il est au lycée, None Dare Call It Conspiracy, un brûlot complotiste et antisémite. Sa vie et sa vision du monde changent. « Les gouvernements ont toujours organisé des attentats et vendu de la drogue en cachette. Depuis le tout début », assure-t-il à Rolling Stone.
Une fois le lycée terminé, il se fait embaucher par la radio locale et tient son propre show, où il déverse à longueur d’émissions ses théories du complot avec une verve qui est déjà sa marque de fabrique. Il y restera six ans, jusqu’en 1999, quand ses propos poussent les nouveaux propriétaires de la radio à le licencier. Mais Jones n’en démord pas : il lance Infowars, média en ligne et plate-forme de podcasts. Il achète également du matériel radio pour pouvoir être diffusé sur une dizaine de stations à travers le pays. La machine est lancée.
Son premier coup d’éclat arrive avec le 11 septembre 2001. Les attentats sont un terreau fertile pour les théories du complot, et Jones participe à la production de Loose Change, film culte pour les conspirationnistes sorti en 2005 et vendu à plusieurs millions d’exemplaires dans le monde. Son mot d’ordre : « It was an inside job » (« Ça venait de l’intérieur »). La cote de popularité de Jones monte, plus de 100 stations radio diffusent désormais son émission. En 2006, sa popularité explose encore un peu plus après son interview de l’acteur américain Charlie Sheen, où ce dernier annonce ne pas croire à la version du gouvernement.
La foire au complot
L’élection d’Obama est une bénédiction pour Jones, boosté par les mouvements naissants des « birthers » (qui croient que Barack Obama est en réalité né au Kenya et non à Hawaï) et par les anti-Obamacare. Jones sait qu’il doit une partie de son succès aux nombreuses théories conspirationnistes qu’inspire le 44e président américain, tant et si bien qu’au moment de sa réélection, en 2012, plusieurs anciens employés d’Infowars l’entendent dire « Si Obama perd, nous sommes fichus », d’après des témoignages recueillis par Buzzfeed. Barack Obama réélu, Jones continue de surfer sur la vague naissante de l’« alt-right ».
Si Jones reste le principal présentateur des émissions que propose Infowars, le site compte aujourd’hui 21 employés et totalise plus de 200 000 visiteurs par jour, pour plus de 25 millions de pages vues par mois. La ligne éditoriale n’a pas changé depuis ses débuts, abondant d’articles sur les derniers complots à la mode : « les vaccins causent l’autisme », « l’homme n’a jamais été sur la Lune », « un génocide blanc est en cours en Afrique du Sud », « des particules chimiques présentes dans l’eau rendent les grenouilles gays », « Hillary Clinton est à la tête d’un réseau de pédo-pornographie », etc.
Jones va même jusqu’à dire que la fusillade de l’école primaire Sandy Hook, où vingt enfants âgés de 6 à 7 ans ont perdu la vie en 2012, a été montée de toutes pièces par le gouvernement, dans le seul but d’interdire la vente d’armes semi-automatiques. Il a, à de nombreuses reprises, publiquement traité les parents des victimes d’« acteurs de crise », allant jusqu’à dire qu’« aucun enfant n’était vraiment mort ».
Rien ne va trop loin pour l’animateur. « Plus Alex Jones crie, et plus les gens l’écoutent », résume le journaliste du Washington Post Manuel Roig-Franzia, dans un portrait qui lui est consacré. Il n’est pas le seul : le Southern Poverty Law Center l’appelle « le conspirateur le plus prolifique et le plus influent des Etats-Unis » ; un ancien employé d’Infowars, dans un entretien avec Buzzfeed, le voit comme « le Goebbels de 2016 ».
« Télé-achat pour conspirationnistes »
Bien que les « fake news » publiées par Infowars aient été abondamment fact-checkées et signalées comme fausses, Jones n’en a cure. Son empire est plus puissant que jamais, au point qu’Infowars a obtenu une accréditation presse temporaire pour la Maison Blanche en mai dernier.
Infowars se porte aussi très bien au niveau financier. Ses revenus ont gonflé en même temps que sa cote de popularité, grâce à son site de vente, Infowars Life, qui rapporterait selon Jones entre 45 et 50 millions de dollars par an. Une petite fortune, dont la totalité est reversée dans la production de l’émission, toujours selon Alex Jones.
Créée en 2006, la boutique affiche une sélection aussi dépareillée que large, de la brosse à dents au gilet pare-balles, en passant par des pilules pour augmenter « la vitalité mâle ». Un impressionnant bazar achalandé au fil des émissions de Jones. Par exemple, immédiatement après celle sur les composants chimiques dans l’eau, Infowars Life s’est mis à vendre des filtres à eau, à grand renfort de publicité pendant son émission. Un ancien employé d’Infowars a d’ailleurs décrit la chaîne comme « un télé-achat pour conspirationnistes », à raison : près d’un quart du temps d’antenne de l’émission de Jones est consacré à la promotion des produits vendus sur le site, selon un calcul de l’équipe de LastWeekTonight.
En presque vingt ans, Alex Jones a réussi à non seulement se faire un nom, mais à devenir la référence dans son domaine. Précurseur de génie, ou bien était-il juste au bon endroit au bon moment ? Qu’importe, son statut de leader d’opinion de l’alt-right en fait aujourd’hui l’une des personnes les plus influentes des Etats-Unis. Et il a foi en l’avenir : « Trump n’était que la première vague de notre mouvement, déclarait-il à Vice en 2017, d’autres arrivent, plus grosses. Bonne chance ! »