Le viaduc Morandi a été construit selon « un procédé très peu résilient »
Le viaduc Morandi a été construit selon « un procédé très peu résilient »
Propos recueillis par Grégoire Allix (propos recueillis par)
Pour l’ingénieur Jean-Michel Torrenti (Ifsttar), il est probable que la corrosion d’un hauban a entraîné l’effondrement du pont de Gênes, que sa conception rendait très fragile.
Vue du pont Morandi, le 15 août. / Luca Zennaro / AP
L’effondrement d’une portion du viaduc autoroutier à Gênes, qui a fait au moins 39 morts et a conduit le gouvernement italien à déclarer un état d’urgence d’un an, continue à poser de nombreuses questions sur les défaillances de la structure du pont.
Selon plusieurs experts, le viaduc Morandi de l’autoroute A10, long de 1,18 km et construit à la fin des années 1960, était un ouvrage en béton qui présentait des problèmes structurels dès sa construction et faisait l’objet d’un coûteux entretien, lié en particulier aux fissures et à la dégradation de l’ouvrage. Jean-Michel Torrenti, ingénieur des ponts, spécialiste du béton, et directeur du département matériaux et structures de l’Institut français des sciences et technologies des transports, de l’aménagement et des réseaux (Ifsttar), répond aux questions suscitées par la catastrophe.
D’après vous, qu’est-ce qui a pu provoquer l’effondrement du pont Morandi de Gênes ?
Pour moi, c’est une des suspentes du pont qui a cassé, entraînant la chute du tablier et du pylône. Le viaduc Morandi est une construction étonnante : c’est un pont en béton qui s’apparente à un pont à haubans, mais avec deux tirants en béton précontraint au lieu d’une série de câbles en acier. C’est un procédé constructif très peu résilient. Si un seul morceau lâche, tout le pont tombe. Sur le viaduc de Millau, même si un câble cède, le pont ne s’écroule pas. C’est la même chose sur les bâtiments : on doit pouvoir enlever un poteau sans que ça s’effondre.
Quelle serait la cause de cette rupture du hauban ?
Je ne crois pas trop à l’explication de la foudre. A mon avis, la cause est plutôt liée à la corrosion. Le béton est un matériau qui fonctionne mal en traction, contrairement aux câbles en acier : pour l’utiliser comme hauban, on le précontraint, c’est-à-dire qu’on le comprime fortement grâce à des câbles pris dans la gaine de béton. Or cette gaine peut masquer la corrosion. Et on sait que la corrosion sur des câbles tendus les rend très fragiles.
Normalement, on s’en aperçoit si le béton se fissure. Mais dans le cas d’un béton précontraint, on s’en aperçoit au dernier moment. Avec ce procédé constructif, si la suspente casse, le système n’est plus équilibré et c’est la catastrophe.
Un affaiblissement des fondations ne peut-il pas être à l’origine de l’accident ?
C’est vrai que les fondations peuvent potentiellement occasionner des dégâts majeurs à des ponts. Mais, là, je n’ai pas l’impression que ce soit le cas : quand on voit les films, on a vraiment l’impression que le pylône tombe après le tablier.
La partie non effondrée du viaduc peut-elle être conservée ?
Je suis persuadé qu’ils vont détruire au moins le reste du pont à haubans, avec les deux piliers qui restent. C’est le même procédé constructif inquiétant, qui ne pardonne pas la moindre faiblesse. Les viaducs d’accès peuvent peut-être être conservés : ils sont de conception plus classique et reposent simplement sur des piles faites de plusieurs poutres.
Les restes du pont Morandi, le 15 août. / PIERO CRUCIATTI / AFP
Un rapport d’audit estime que 30 % des ponts du réseau routier français non concédé au privé ont besoin de réparations. Faut-il s’en alarmer ?
Il n’y a pas d’urgence absolue dans les cinq ans qui viennent, mais il est clair qu’on ne peut pas construire un pont et ne plus rien faire pendant les cent ans de sa durée de vie. Sans maintenance, on sera confronté au bout de vingt ans à des problèmes.
Etant donné les inspections auxquelles les ouvrages sont soumis en France, le risque n’est pas forcément que les ponts s’effondrent, mais plutôt qu’on soit obligés de les fermer. Et plus on attend pour réaliser ces travaux de maintenance, plus il y aura urgence et plus ça coûtera cher.
Aujourd’hui il y a un arbitrage difficile à faire sur fond de budget limité : faut-il réparer un peu tous les ponts qui présentent des problèmes, ou se concentrer uniquement sur les plus dégradés en remettant l’entretien des autres à plus tard ?