« La réforme des retraites est le chantier le plus risqué pour l’exécutif »
« La réforme des retraites est le chantier le plus risqué pour l’exécutif »
Par Cédric Pietralunga
Le journaliste du « Monde » Cédric Pietralunga a répondu à vos questions sur la rentrée d’Emmanuel Macron et du gouvernement.
Budget 2019, plan pauvreté, réforme du système de santé, révision de la Constitution… alors qu’Emmanuel Macron réunit un conseil des ministres mercredi 22 août, le journaliste Cédric Pietralunga a répondu à vos questions sur la rentrée politique du président de la République.
JChristophe : Quel est le sujet qui va être traité dans un premier temps après la rentrée, réforme constitutionnelle, plan pauvreté ou plan hôpital ?
Cédric Pietralunga : Bonjour JChristophe, concernant l’agenda de cette rentrée, le gouvernement a prévu de dévoiler son plan pauvreté mi-septembre. Il devait l’être en juillet mais il avait été reporté du fait du bon parcours des Bleus à la Coupe du monde, ce qui aurait rendu inaudible toute annonce à ce moment-là. Concernant le plan hôpital, porté comme le plan pauvreté par la ministre de la santé Agnès Buzyn, il doit être dévoilé à l’automne, en octobre ou en novembre.
Pour ce qui est de la réforme constitutionnelle, c’est beaucoup moins clair. Le débat sur le sujet à l’Assemblée nationale a été suspendu en juillet pour cause d’affaire Benalla. L’exécutif doit dire d’ici à la fin du mois d’août s’il compte réinscrire cette réforme à l’agenda parlementaire de la rentrée (il reste en gros quatre journées de discussions à trouver) ou s’il la reporte à plus tard. La majorité craint notamment que l’opposition profite de cette discussion pour remettre une nouvelle fois en cause le présidentialisme présumé d’Emmanuel Macron.
Eleonore : Bonjour M. Pietralunga, vous semblez dire que le budget 2019 sera le point le plus « délicat » de la rentrée. Concrètement, où le gouvernement peut-il/veut-il faire des économies ? Ça fait quand même des années que c’est la rigueur en France…
Cédric Pietralunga : Bonjour Eleonore, c’est tout l’objet de la réunion qui doit avoir lieu ce mercredi après-midi à l’Elysée, autour d’Emmanuel Macron et d’Edouard Philippe. Compte tenu du ralentissement de la croissance, et ce faisant de la diminution des rentrées fiscales, l’exécutif n’a d’autre choix que trouver de nouvelles économies pour respecter son engagement de réduire le déficit à 2,3 % du PIB, puisqu’il exclut par avance de le laisser filer. Parmi les pistes évoquées, il y a la baisse du nombre de fonctionnaires (le chiffre de 10 000 agents de l’Etat en moins circule), la diminution du nombre d’emplois aidés (qui pourraient être plafonnés à 100 000), des aides au logement, etc.
Bob : Bonjour, peut-on attendre une « reprise » de l’affaire Benalla ?
Cédric Pietralunga : Bonjour Bob, l’affaire Benalla connaîtra des suites puisque la commission d’enquête du Sénat reprendra ses auditions à la rentrée (celle de l’Assemblée nationale s’est sabordée cet été). De même, une enquête judiciaire est en cours et de nouvelles auditions ne sont évidemment pas à exclure.
Sur le plan politique, il est évident que l’opposition profitera de tout éventuel rebondissement dans cette affaire pour tenter de mettre l’exécutif dans la difficulté. Du côté de la majorité, au contraire, on estime que le plus dur est passé et, en tout état de cause, que l’affaire Benalla « a eu un retentissement médiatique en décalage avec l’opinion », selon un proche d’Emmanuel Macron.
Mp14 : Bonjour « Le Monde » et merci pour ce live. Un remaniement est-il à prévoir ? Qui va mener la bataille des européennes pour la majorité ?
Cédric Pietralunga : Bonjour Mp14, la question d’un éventuel remaniement agite la majorité depuis de nombreux mois, compte tenu des difficultés de certains ministres (Nyssen, Collomb, Castaner, etc.) ou de l’absence de notoriété d’autres. A l’Elysée comme à Matignon, on martèle pour autant que tous les membres du gouvernement donnent satisfaction et que la question d’un éventuel remaniement n’est pas à l’ordre du jour.
De fait, modifier la composition du gouvernement est ce qu’on appelle « un fusil à un coup » et les observateurs estiment qu’il ne faut y recourir qu’en cas de blocage avéré de l’exécutif, ce qui n’est pas le cas aujourd’hui puisque le gouvernement continue de travailler et dispose toujours d’une majorité docile à l’Assemblée nationale.
En tout état de cause, un remaniement devrait intervenir au plus tard au printemps 2019, plusieurs membres du gouvernement ayant exprimé, publiquement ou en privé, leur intention de se présenter aux municipales de 2020 ou de faire partie de la liste de La République en marche pour les européennes de mai 2019.
Concernant la tête de liste pour ces européennes, c’est toujours le grand flou, les noms de plusieurs ministres continuent de circuler, ceux de personnes de la société civile aussi. La décision reviendra de toute façon à Emmanuel Macron.
Yann : Quel est le chantier le plus risqué politiquement ?
Cédric Pietralunga : Bonjour Yann, la réforme des retraites est certainement la plus risquée pour l’exécutif car elle va concerner tous les Français, à la différence de celle de la SNCF (qui n’impliquait que les agents de l’entreprise publique) ou même des ordonnances travail (où seuls les salariés étaient concernés). Lors de la campagne, Emmanuel Macron avait précisé qu’il comptait mettre un terme aux régimes spéciaux, chose à laquelle tous ses prédécesseurs ont renoncé face au risque de blocage du pays. Depuis plusieurs mois, l’ex-ministre Jean-Paul Delevoye, qui s’était rallié à M. Macron durant la campagne, est chargé de préparer le terrain avec les syndicats, mais ceux-ci mettent par avance en garde contre toute volonté de remettre en cause le modèle de retraite par répartition. « Je pense qu’il y aura des mobilisations pour maintenir notre régime actuel », a encore déclaré Pascal Pavageau, le leader de Force ouvrière, sur Europe 1 ce matin. En tout état de cause, cette réforme ne devrait pas intervenir avant le printemps 2019.
Eliot : Et les pensions de réversion (scandaleuses dans certains cas ou honteuses dans d’autres) où en est-on après certains bruits de couloir sur le sujet ?
Cédric Pietralunga : Bonjour Eliot, la communication de l’exécutif autour de la question des pensions de réversion a été pour le moins chaotique. Tour à tour, plusieurs ministres ont dit que celles-ci ne bougeraient pas, puis que certaines pourraient baisser, que cela dépendrait des situations, etc. Finalement, Matignon a déclaré que les personnes qui touchent actuellement une pension de réversion ne seraient pas concernées par une éventuelle réforme de cette prestation. Mais la question d’une modification des conditions d’attribution pour les futur(e) s retraité(e) s est, elle, bel et bien sur la table.
Clem R : Bonjour « Le Monde », avec les nombreuses réformes à venir et les désaccords qu’elles pourraient créer, peut-on s’attendre à voir des députés de la majorité s’affirmer de manière plus convaincante, prendre réellement position et exprimer leurs désaccords avec le gouvernement s’il c’est le cas, comme un petit groupe l’avait déjà fait pour s’opposer à la loi Asile et Immigration ? Un groupe de « frondeurs » peut être…
Cédric Pietralunga : Bonjour Clem R, les députés de la majorité, accusés au début de leur mandat d’être de simples « godillots », font effectivement de plus en plus entendre leur voix et n’hésitent plus à contester tel ou tel aspect d’un projet de loi ou d’une réforme. Cette évolution est en fait normale car nombre de députés de la majorité étaient des novices de la politique et ont mis du temps à comprendre le fonctionnement de l’Assemblée. Désormais plus aguerris, ils sont nombreux à dire qu’ils veulent aujourd’hui peser davantage dans les débats. De là à parler de « frondeurs », cela me semble exagéré.
Les élus LRM ont comme ciment commun un profond attachement au chef de l’Etat, à qui ils doivent tout. De même, nombre d’entre eux ont été traumatisés par l’opposition systématique des frondeurs du Parti socialiste lors du précédent quinquennat. A part quelques individualités, je ne vois donc pas, en tout cas dans l’immédiat, se constituer une fronde à l’Assemblée nationale.
Gaspard : Au niveau international, les échéances européennes de 2019 risquent également de faire partie de cet agenda chargé pour la rentrée. Y a-t-il des avancées sur les partenariats partisans transnationaux pour LRM ? Voire même nationaux (cf. bruits de couloirs sur Juppé, UDI etc.) ?
Cédric Pietralunga : Bonjour Gaspard, l’an II du quinquennat d’Emmanuel Macron sera effectivement marqué par l’échéance des élections européennes de mai 2019, qui seront le premier test électoral de l’exécutif. L’enjeu est donc important et Emmanuel Macron devrait consacrer une partie importante de son temps à ce dossier.
Concernant d’éventuels partenariats transnationaux pour LRM, les choses sont loin de se décanter. Nombre de partis centristes à travers l’Europe, le plus souvent affiliés au PPE au parlement européen, rechignent à quitter ce groupe puisqu’il est aujourd’hui majoritaire sur le Vieux continent. Le futur président de la Commission européenne sera certainement issu de ses rangs. Rejoindre LRM pour constituer un autre groupe est un pari risqué, tout du moins pour le moment. Tout dépendra de l’évolution des rapports de force d’ici au scrutin.
Pour ce qui concerne LRM, l’objectif plus ou moins affiché par le parti présidentiel est d’obtenir au minimum une trentaine de sièges au parlement européen sur les 79 réservés aux Français.