« The Last of Us » : « Dead Man » au temps des migrants
« The Last of Us » : « Dead Man » au temps des migrants
Par Clarisse Fabre
Ce film sans paroles d’Ala Eddine Slim suit « l’évaporation » d’un homme en forêt, après une traversée en mer interrompue.
Comme un objet scintillant sur la plage, loin de tout genre cinématographique, The Last of Us éveille notre curiosité tant le réalisateur, le Tunisien Ala Eddine Slim, déploie un désir de transmettre des sensations. Cette fiction sans paroles commence avec la traversée du désert nord-africain par deux silhouettes, qui deviennent deux hommes, dont on présume qu’ils veulent embarquer. Mais le véhicule qui les emmène est braqué et le héros, que le réalisateur prénomme N (Jawhar Soudani), se retrouve seul. Il fait du stop jusqu’à Tunis où les habitants sont figurés par l’ombre de leurs pas sur le bitume.
La traversée en solitaire dans une barque ne relèvera pas ici de la performance. Elle sera la transition vers un autre voyage, entre vie et disparition, dans une terra incognita où N échoue. Une forêt sauvage, sans autre humain qu’un homme chenu, M (Fathi Akkari), dont la couche de fourrures sur les épaules permet d’imaginer le nombre de bêtes mangées, et le temps passé à survivre en milieu hostile.
« Trop de beauté »
Dérivation poétique, philosophique, à combustion lente, ce premier long-métrage a obtenu le « Lion du futur » à la Mostra de Venise, en 2016. C’est assez fort de faire passer tant de réflexions, uniquement par l’image à laquelle Ala Eddine Slim prête une attention infinie. On pourrait presque lui reprocher le « trop de beauté », mais il faut sans doute y voir, chez ce jeune cinéaste, l’envie de tout montrer.
L’Europe comme lieu d’espérance et destination attendue n’est même pas dans le champ. Comme si le monde occidental était parti en fumée, ou comme si le film avait emprunté définitivement le chemin de la rêverie. Sans le dire, Ala Eddine Slim s’attache aux terrains inconnus où les corps disparaissent, quelque part entre le point A et le point B.
Dans la forêt, le héros devient un mutant, peut-être un homme mort en devenir, comme le Dead Man (1995), de Jim Jarmusch . La silhouette de N s’épaissit à son tour sous le poids des peaux d’animaux. La nuit, il a pour compagnon la lune, qui le suit à chacun de ses pas, et fait entrer avec une naïveté assumée l’usage de la magie au cinéma.
N n’a pas choisi de vivre ici, à l’inverse de l’auteur de Walden ou la Vie dans les bois (1854), récit autobiographique de l’Américain Henry David Thoreau dans sa cabane, et ouvrage fondateur de la pensée écologique. Mais il fait corps avec la nature et ses bruits nocturnes dont certains signalent un danger imminent : les loups. Le cinéaste ne s’appesantit pas sur la métaphore de l’homme qui est un loup pour l’homme. Mais on comprend où il veut en venir. Où est-il encore possible d’habiter ?
Film tunisien (avec le Qatar et les Emirats arabes unis) d’Ala Eddine Slim. Avec Jawhar Soudani, Fathi Akkari, Jihed Fourti (1 h 34). Sur le Web : www.potemkine.fr/Potemkine-film/The-last-of-us-the-last-of-us/pa61m4f330.html