Supporteurs belges réfléchissant à l’avenir de leur sélection de football. / GABRIEL BOUYS / AFP

Chronique. Ce genre de plaie ne se referme pas en quelques semaines – quand elle se referme –, mais elle devient moins vive, surtout quand la saison nouvelle tourne la page de la précédente. Pour ne pas rester sur de méchants sentiments, invitons nos amis belges à une conférence de paix pour dissiper les malentendus et maintenir cette rivalité footballistique assez neuve dans des proportions raisonnables.

Commençons, de part et d’autre, par faire abstraction de tout ce qui a été dit de plus bête, des deux côtés de la frontière. On se sent tout de suite plus léger, et dans l’élan, on pourrait même replacer les déclarations des uns et des autres dans leur contexte. On ne peut toutefois pas retirer les moqueries, qui font partie du jeu. Cette demi-finale a ainsi provoqué la spectaculaire popularisation du terme seum (de l’arabe sm [sèm], « poison » ou « venin »), qui baptisa l’amertume de certains joueurs et supporteurs belges.

Mais l’honnêteté devrait nous obliger à reconnaître que cette amertume, nous la connaissons parfaitement. Mieux : nous la comprenons très bien. L’histoire de notre football est jalonnée d’infinies variantes de votre défaite, qui ont même longtemps été ses principaux faits de gloire. Et même après nos triomphes, il a encore fallu remplir nos coupes de ce poison, jusqu’à tout récemment.

Poteaux carrés ou barres transversales, tirs au but tragiques ou gardiens criminels, sortie précoce du meilleur joueur ou vilains coups francs fatals, main diabolique et autre péripétie : une très belle collection, le Louvre de la lose. Comme nous avons honni les vainqueurs habiles, vicieux, laids ou simplement efficaces ! Comme nous nous drapions dans la beauté du geste, le panache de nos équipes à quatre milieux offensifs, la fierté des justes… Non sans victimisme, mais avec l’orgueil pas si mal placé, à être ainsi du côté du beau jeu. Comme vous.

Dans la peau du vainqueur cynique

Et puis, 1998 nous a guéris de ce complexe, avant vaccination définitive : 2006 sur un coup de tonnerre, 2016 sur un coup d’Eder – le football est facétieux. Gagner moche (ou gagner en se faisant traiter de moches), ce n’est plus du tout un problème. Nous avons quand même respecté la tradition du no 10 génial, fût-ce à un poste inattendu. Il était bien temps d’être enfin dans la peau du vainqueur cynique. On s’en accommode très bien.

Notre défaite la plus proche de la vôtre est probablement celle du quart de finale de la Coupe du monde 2014. Un match équilibré face à l’Allemagne, une tête imparable sur un coup de pied arrêté, l’impression qu’on ne marquera pas malgré les occasions. Le vainqueur laisse au vaincu une impression de fatalité. Bien sûr, la Belgique de 2018 était plus brillante que la France de 2014 et elle peut nourrir un sentiment de défaite imméritée. Ce fut un privilège de voir Hazard et De Bruyne jouer dans une équipe qui aura laissé sa trace dans la compétition.

Il faut cependant s’en prendre au football pour cette « injustice », pas au vainqueur. L’équipe de France a battu des équipes qui se sont senties supérieures sur le terrain, parfois à juste titre, mais qui ne l’ont pas été face au but. Elle a fait pleurer d’impuissance des défenseurs uruguayens. Elle a même remporté une finale qu’elle a ratée. Elle avait autre chose que de la chance ou du vice, quelque chose qui a manqué à votre sélection.

Justice vous sera rendue

On vous aurait bien lancé un « sorry, good game », mais ce qui passe pour de l’élégance narquoise chez les Britanniques risquerait d’être encore pris pour de l’arrogance de notre part. Il n’y a pourtant pas de quoi faire de la querelle un casus belli. Nous, on vous aime toujours. Et si vous tenez à nous détester, sachez que nul ne déteste plus les Français que les Français eux-mêmes. Sauf quand ils gagnent la Coupe du monde, bien entendu.

Votre heure viendra immanquablement. Peut-être bientôt : cette élimination cruelle ressemble à d’autres, qui ont précédé des consécrations lors du tournoi suivant. Cela peut aussi n’arriver que dans vingt ou trente ans : si la justice des hommes est lente, celle du football prend parfois une éternité.

Une chose est sûre cependant, les victoires sont un formidable baume pour les blessures anciennes. Désormais, 2006 est moins un regret éternel qu’un pieux souvenir, et la désillusion de 2016 est lavée par ce titre mondial. Il aura fallu ça pour connaître la félicité et lui accorder toute sa valeur. C’est si bon que la France et moi, nous vous souhaitons sincèrement de connaître une telle revanche – sur le sort, pas sur nous, si possible.