« Diamants de sang : pourquoi il faut réformer le processus de Kimberley »
« Diamants de sang : pourquoi il faut réformer le processus de Kimberley »
Par Elise Rousseau
Pour la chercheuse Elise Rousseau, l’extraction de diamants se déroule souvent dans un contexte de violence qui n’est pas défini par la charte.
Des diamants illégaux vendus à Manica, près de la frontière avec le Zimbabwe, en septembre 2010. / Goran Tomasevic / REUTERS
Depuis janvier, l’Union européenne assume la présidence tournante annuelle du Processus de Kimberley (PK), un forum international tripartite réunissant acteurs étatiques, membres de la société civile et d’autres de l’industrie du diamant, chargé de surveiller le commerce mondial de diamants bruts afin d’empêcher la diffusion des diamants de conflit.
Selon la définition retenue par l’ONU, les diamants de conflit sont « des diamants bruts utilisés par les mouvements rebelles pour financer leurs activités militaires, en particulier des tentatives visant à ébranler ou renverser des gouvernements légitimes ». Cette définition restrictive, adoptée en 2000, s’adapte mal aux réalités conflictuelles contemporaines et gagnerait à être étendue.
Dimension néocoloniale
Actuellement, seuls les diamants produits dans certaines zones de République centrafricaine (RCA) sont considérés comme étant des diamants de conflit. Or, dans bien des endroits encore, l’extraction de diamants se déroule dans un contexte de violence, étatique par exemple, non appréhendé par le PK. Par ailleurs, l’implication de sociétés militaires privées sur le terrain tend à complexifier davantage la situation. L’assassinat de trois journalistes russes en RCA le 30 juillet, alors qu’ils enquêtaient sur les liens supposés entre le groupe Wagner, une société militaire privée russe, et le trafic de diamants centrafricains, montre qu’aborder le problème sous le prisme de la rébellion uniquement n’est plus suffisant.
Plusieurs Etats, d’Afrique australe principalement, refusent pourtant toute modification de la définition, dénonçant la dimension néocoloniale de ce projet essentiellement porté par des Etats occidentaux. L’argument économique est aussi avancé : si le mandat du PK devait être étendu, plusieurs gouvernements se verraient dans l’impossibilité de remplir les conditions minimales nécessaires à leur participation au commerce des diamants. Ceci aurait des conséquences importantes pour les pays dont l’économie s’est construite autour de l’exportation de cette matière première.
Cependant, de par sa position particulière au croisement entre commerce international et résolution des conflits, la « Kimberley Family » possède une responsabilité d’action face aux exactions commises en lien direct et indirect avec le secteur du diamant. Ne rien faire, refuser de discuter de l’intégration de la défense des droits fondamentaux au mandat du PK, reviendrait à cautionner ces actes, sinon à s’en rendre complice.
Réalisme prudent
Dans ce contexte difficile, l’Union européenne (UE) avance avec un réalisme prudent à la hauteur du rôle d’impulsion limité que lui confère sa présidence. Aux côtés des Etats-Unis et du Canada, elle met l’accent sur la question du développement et espère inscrire l’action du PK dans la ligne des objectifs de développement durable de l’ONU. Ce discours est plutôt bien accueilli au sein du forum, car il répond à l’inquiétude économique de certains, sans que ne soit abordée la délicate question de la souveraineté. Mais est-ce suffisant ?
Etendre le mandat du PK au développement représenterait certes une avancée majeure et permettrait, sans doute, à terme, aux communautés locales de profiter des bénéfices économiques de l’extraction des diamants. Si le PK devait, lors de son assemblée plénière de novembre, faire un pas dans cette direction, ce serait déjà une étape salutaire. Cependant, l’urgence humanitaire demeurerait encore extérieure au mandat du PK et des situations dramatiques telles que celles observées à Marange (Zimbabwe) ou encore durant l’opération Brilhante (Angola) il y a quelques années continueraient de se produire.
Il serait certes impossible pour le PK d’agir seul. La coopération avec d’autres organisations internationales, telle qu’envisagée par l’UE dans le domaine du développement, pourrait permettre au PK d’apporter un début de réponse aux situations où l’humanité est en péril en raison du commerce des diamants.
De la mine au bijou
Enfin, parler de diamants bruts dans la définition revient à circonscrire le mandat du PK aux étapes de la chaîne d’approvisionnement situées entre la mine et le centre de taille. Le forum n’a donc pas vocation à surveiller ce qui se passe entre le centre de taille et le sertissage du diamant. Par ailleurs, l’opacité qui caractérise ce commerce ou encore le transit croissant des pierres par des centres peu scrupuleux en matière d’éthique, tel que Dubaï, ne permettent pas d’assurer un acheminement transparent.
Face à ce problème, et à la demande croissante de diamants éthiques, certaines entreprises ont développé une filière qui garantit le respect des droits, de la mine au bijou. Ainsi, en promouvant la transparence tout le long de la chaîne, ces projets complètent, et dépassent même, le PK. A terme, si des coopérations systématiques entre le PK et les autres acteurs impliqués ne sont pas imaginées, ce type d’initiative ad hoc où l’industrie diamantaire est à la fois juge et partie, risque de rendre le forum international caduc, les consommateurs allant chercher ailleurs la solution au problème des diamants de sang.
Elise Rousseau est chercheuse au Fonds de la recherche scientifique (FRS-FNRS), rattachée à la Chaire Tocqueville en politique de sécurité de l’université de Namur (Belgique). Elle a contribué à la rédaction du premier Manuel de diplomatie en langue française, récemment paru aux Presses de Sciences Po Paris (2018).