Les doutes du gouvernement sur le prélèvement à la source
Les doutes du gouvernement sur le prélèvement à la source
Par Benoît Floc'h (Avec Cédric Pietralunga)
Le gouvernement veut faire le point en septembre sur cette réforme à hauts risques censée entrer en vigueur au 1er janvier 2019.
La réforme du prélèvement à la source aura-t-elle lieu ? « On se donne jusqu’au 15 septembre pour voir si on le fait ou pas », aurait répondu le président de la République il y a quelques jours, selon Le Canard enchaîné du mercredi 29 août. Mêmes signes de fébrilité à Matignon. Interrogé sur les propos rapportés d’Emmanuel Macron, l’entourage du premier ministre assure certes qu’aucun report n’est à l’ordre du jour. Mais, de même source, on ajoute aussitôt : « On passe les jalons un à un et, en septembre, on appuiera sur le bouton si tout continue d’aller bien. » Bref, à quatre mois de l’entrée en vigueur de ce que Gérald Darmanin, ministre de l’action et des comptes publics, présente comme la plus grande réforme de l’impôt sur le revenu depuis sa création, le gouvernement reconnaît qu’il n’est pas absolument sûr de la lancer.
Dans l’entretien qu’il a accordé il y a quelques jours au Journal du dimanche, Edouard Philippe ne disait d’ailleurs pas autre chose. « Nous ferons le point sur la préparation de cette réforme dans les prochaines semaines », avait-il déclaré, semant le doute sur les intentions du gouvernement.
« Nous ferons l’impôt à la source à partir de janvier parce que c’est une grande réforme sociale, une grande réforme qui améliore la trésorerie des Français », a cependant martelé M. Darmanin, mercredi 29 août sur Europe 1, précisant : « Il n’y a aucun bug administratif ou informatique. Il est normal que le président de la République et le premier ministre surveillent que les choses se passent bien. »
L’exécutif sait qu’il ne peut pas rater cette réforme qui concerne 38 millions de foyers fiscaux. Certes, ce n’est pas l’impôt sur le revenu qui est réformé, mais seulement sa collecte. Dorénavant, les Français ne paieront plus eux-mêmes l’impôt qu’ils doivent sur les revenus de l’année passée. C’est leur entreprise ou leur caisse de retraite qui le prélèvera tous les mois sur leur salaire pour le compte de l’Etat.
Le prélèvement à la source représente deux enjeux pour le gouvernement. Le premier est technique : c’est une grosse machine à la tuyauterie compliquée qu’il faut régler et les risques de cafouillages ne sont pas négligeables.
Mais l’enjeu est également politique. Au moindre faux pas, le gouvernement sait qu’il sera sur la sellette. Cette réforme à tiroirs a déjà réservé des surprises. Les particuliers qui recourent à des employés à domicile ou les contribuables qui bénéficient de crédits ou de réductions d’impôt se sont ainsi aperçus qu’ils étaient dans un angle mort de la réforme. Le gouvernement a dû, dans l’urgence, trouver des solutions.
« Interrogation sur le pouvoir d’achat »
Surtout, quelle sera la réaction des contribuables qui percevront, fin janvier, une paye amputée de quelques dizaines ou quelques centaines d’euros ? Le gouvernement craint que cela n’ait des conséquences en termes de consommation, et donc de croissance, alors que celle-ci donne déjà des signes de faiblesse.
« Je ne serais pas étonné si [la réforme] était démontée », confie Albéric de Montgolfier. Le sénateur Les Républicains de l’Eure-et-Loir, qui a beaucoup travaillé sur le prélèvement à la source, assure que les doutes au sommet de l’Etat « sont réels ». « L’interrogation du président de la République porte sur le pouvoir d’achat, justifie-t-il. La feuille de paye aura un impact psychologique. »
Mais, répond, Cendra Motin, députée La République en marche de l’Isère, dans la plupart des cas, « il s’agira de montants supportables. Pour tout un tas de métiers de l’artisanat, par exemple, le salaire ne sera amputé que de 20 à 60 euros ». Pour l’élue, elle aussi experte sur cette question, « aujourd’hui, il n’y a pas de raison de ne pas y aller ». « Tout le monde est prêt, dit-elle : Bercy, les entreprises, les éditeurs de logiciel de paye… Je m’en suis assurée moi-même auprès de Bercy. Ils m’ont confirmé que tout était en ordre. S’il y avait le moindre doute, ils ne seraient pas aussi catégoriques. » Reste à en convaincre le chef de l’Etat et le premier ministre.