A Cherbourg, Hollande critique Macron sans le nommer
A Cherbourg, Hollande critique Macron sans le nommer
Par Astrid de Villaines (Cherbourg, envoyée spéciale)
L’ancien chef de l’Etat, qui effectuait sa rentrée politique en présence de Bernard Cazeneuve dans la Manche, a multiplié les piques contre son successeur.
François Hollande et Bernard Cazeneuve participent à une réunion publique à Cherbourg, dans la Manche, vendredi 31 août. / JEAN-CLAUDE COUTAUSSE/FRENCH-POLITICS POUR "LE MONDE"
Comme un goût d’ancien monde. Jusqu’à présent habitué à la tournée des librairies pour dédicacer son livre Les Leçons du pouvoir (Stock, 2018), François Hollande a fait, vendredi 31 août à Cherbourg (Manche), sa véritable rentrée politique, en compagnie du dernier premier ministre de son quinquennat, l’ancien maire et député de la ville, Bernard Cazeneuve.
Dans un discours plus offensif qu’à l’accoutumée, l’ancien président de la République a vanté son bilan, pendant près d’une heure devant quelque deux cents militants et sympathisants socialistes réunis dans la salle des fêtes. Mais il a surtout défendu la place « du socialisme et de la social-démocratie » face au « libéralisme et [au] populisme ». Une manière pour lui de critiquer Emmanuel Macron et Jean-Luc Mélenchon, en les renvoyant dos à dos, sans jamais les nommer.
A propos de la réforme du prélèvement de l’impôt à la source, votée sous son quinquennat, mais que l’actuel gouvernement semble hésiter à mettre en œuvre le 1er janvier 2019, François Hollande a déclaré : « Cette réforme était prête. Elle peut être annulée. Mais ce dont je suis sûr, c’est que les fonctionnaires ont fait leur travail. » Un hommage rendu aux fonctionnaires, comme une première pique en creux adressée à son successeur, qui prévoit d’en réduire le nombre dans le prochain budget.
Mais l’ancien président « normal » a aussi mis en garde son successeur, de manière à peine voilée, contre les dangers du « narcissisme, une terrible maladie dont tout le monde peut être victime ». « On vient me voir lors des séances de dédicaces pour me dire “vous, vous êtes humain’’ », a-t-il glissé, ajoutant dans un sourire que « ceux qui gagnent le plus et qui seraient venus me remercier pour la suppression de l’ISF [impôt sur la fortune], ils ne se sont pas trompés d’adresse ! »
Et François Hollande de citer le palmarès de ses réformes les plus appréciées de ses (é)lecteurs : le mariage pour tous, la loi sur la fin de vie, la retraite à 60 ans pour les carrières longues… « Défendez-le, ce bilan, portez-le ! », a-t-il poursuivi, sur un ton de campagne électorale et sous les applaudissements, prévenant que « rien ne se conquiert dans la prétention, dans l’oubli et encore moins dans la contrition ».
Plus rare, l’ancien premier secrétaire du Parti socialiste s’en est pris directement à son ancien camarade de la Rue de Solférino Jean-Luc Mélenchon. « Ceux qui disent qu’ils viennent de nulle part ne trouvent pas en général de point de destination », a-t-il dit, le ton grave, en référence au chef de file de La France insoumise, qui n’emploie plus le mot « gauche » pour se qualifier.
Importance de la « transmission »
Un peu plus tôt, Bernard Cazeneuve avait insisté lui aussi sur l’importance de « la tradition de la gauche de gouvernement : regarder le réel et ne pas confondre l’espérance et la colère, comme l’ont fait tous nos prédécesseurs, de Jean Jaurès à vous-même [François Hollande], en passant par Léon Blum ». A Cherbourg, l’ancien premier ministre est exceptionnellement sorti de sa réserve adoptée depuis la victoire d’Emmanuel Macron, quand plusieurs au PS le verraient bien conduire la liste aux élections européennes de mai 2019. « Le PS a en son sein de très bons candidats, il faut laisser Olivier Faure et la nouvelle génération s’en occuper », a répondu au Monde le nouvel avocat d’affaires, citant notamment le commissaire européen Pierre Moscovici et l’ancien secrétaire d’Etat au budget Christian Eckert. « Il faut regarder toutes les possibilités et les faire travailler ensemble », a conseillé M. Cazeneuve, assurant qu’il n’était pas « de retour », mais toujours « en réserve ».
En réponse, François Hollande a insisté sur l’importance de la « transmission ». Saluant son ancien chef du gouvernement — « un ami », « un homme d’Etat » — et, comme s’il voulait lui passer le flambeau, l’ancien président a conclu : « La République doit savoir qu’elle a Bernard Cazeneuve en réserve, qui, même s’il est en retrait, est un talent qui n’a pas encore dit toute sa vérité. » L’ancien monde tient décidément à sa revanche.