François D'Haene en reconnaissance sur le GR20. / JMK CONSULT

Meilleur trailer français, 6e mondial en ultra-trail, ces « courses sur sentier » d’une distance supérieure à 155 km, François D’Haene renie toutefois le titre de sportif de haut niveau. D’abord parce qu’il exerce un « vrai » métier, kinésithérapeute, ensuite parce qu’il vit pour une autre passion, dans son vignoble du Beaujolais, en famille.

Qualifié d’« ovni » ou d’extraterrestre, c’est selon, il court plus vite que les autres, plus longtemps avec une aisance qui désarçonne, tout en revendiquant son droit au plaisir. C’est d’ailleurs au nom de cette liberté qu’il ne participe pas à l’Ultra-trail du Mont-Blanc (UTMB) qui se tient jusqu’au 2 septembre.

Par ces choix de vie même, il incarne mieux qu’un autre ce jeune sport, né en 1974 aux Etats-Unis, mais qui ne s’est réellement développé qu’avec les années 2000. Pour François D’Haene, le trail n’est pas un sport à proprement parler. « C’est le fait de courir dans la nature, en montagne ou pas, de partir à l’aventure en milieu naturel. »

2 septembre 2017. Francois D'Haene remporte le 15e UTMB, ici entouré du deuxième, l’espagnol Kilian Jornet (à gauche), et du troisième, l’Américain Tim Tollefson. / JEAN-PIERRE CLATOT / AFP

« J’ai toujours couru »

La montagne n’était pourtant pas une évidence pour François D’Haene, né à Lille (Nord), avant de déménager enfant à Novalaise, petite ville savoyarde au bord du lac d’Aiguebelette. Il y passera vingt ans.

« Je n’ai pas fait d’escalade tout petit, mais je faisais de l’athlétisme. J’ai commencé à courir vers 5-6 ans. J’ai toujours couru. » La montagne, il la regarde d’en bas jusqu’à la fin de l’adolescence. Il ressent alors le besoin de sortir des sentiers balisés, tâte de l’alpinisme, du VTT, du ski… et court, de plus en plus longtemps. Au point de s’inscrire à son premier trail en 2006, les 73 km de la Vanoise. A sa grande surprise, il gagne !

« L’épreuve durait alors huit heures. J’ai constaté qu’au bout de quatre-cinq heures, quelque chose se passait qui me plaisait. Par rapport à mes amis, quand ils en avaient un peu marre, avaient faim et mal aux jambes, moi, je trouvais qu’on entre dans un monde différent et que l’aventure commence vraiment. C’est quelque chose qui m’excitait. »

François D’Haene a envie de creuser ce « quelque chose ». Son métier va l’y aider. Diplôme en poche, c’est en tant que kinésithérapeute qu’il découvre le Mont-Blanc. « Je me suis dit : “[L’UTMB], c’est infaisable.” Et déjà le fait de se dire ça… Depuis, j’ai eu la chance de le gagner trois fois [2012, 2014, 2017]. Je n’aurais jamais pensé arriver à ce niveau ni avoir cette carrière. »

Exercer en tant que kinésithérapeute le libère également des soucis matériels. « En France, c’est une profession où il y a beaucoup de travail. J’ai pu prendre des remplacements, m’arrêter, reprendre des remplacements, aller à La Réunion…. Quand je reviens, je sais que j’aurai du travail. »

Cela l’a également convaincu de se lancer dans le vin en 2012. « D’accord, c’est une prise de risque, mais avec un filet. » Avec Carline, sa femme, ils reprennent le domaine du Germain, un vignoble qui appartenait à sa belle-famille et devait être arraché. « A ce moment-là, on cherchait un projet commun en rapport avec la nature. On a toujours aimé le vin, c’était l’idéal. »

Ils produisent en AOC (appellation d’origine contrôlée) Beaujolais, Beaujolais Villages, Moulin à vent et Chénas. Avec la naissance de Sarah, 4 ans, puis Siméon, 2 ans, le couple s’investit à fond. Carline suit une formation d’œnologue, tandis que son mari quitte son métier de kiné.

« Préparer l’avenir »

Après deux années sans vin, la production décolle, grâce à l’aide des voisins : « Les vignerons nous ont vachement aidés. » Néanmoins, « des 20 000 bouteilles que faisait le vignoble avant, on est passés à 3 000 bouteilles », proposées en vente directe. « L’idée avec le vin était de ne pas perdre trop d’argent, de se constituer une expérience et, pourquoi pas, de préparer l’avenir. » Sur le site du domaine du Germain, François D’Haene ne mentionne pas son palmarès en trail : « Je ne suis pas très Internet ! »

Pour faire connaître son vin, il organise des dégustations. Lors de l’une d’entre elles, il croise le président de Salomon, Jean-Marc Pambet, avec lequel il a scellé un partenariat « libre » en 2010. Autre passionné de montagne et diplômé d’HEC, le manager est alors en passe de réussir la reconversion industrielle de l’entreprise, du ski au trail.

Cette rencontre scelle d’emblée la double vie de viticulteur et d’athlète de François D’Haene. Une dichotomie que le trail autorise. « Certains sports sont très structurés, comme le ski, explique M. Pambet, avec un comité, une fédération. En trail, il y a juste l’athlète, la marque et l’événement. »

Depuis, tout est allé ultra vite. « Je n’ai pas vu le temps passer, s’amuse D’Haene. J’essaye de réfléchir plus professionnellement. » Il travaille avec un coach, Jean-Michel Faure-Vincent, mais à sa manière, sans programme fixe. « C’est quelqu’un de confiance, qui me permet de prendre un peu de recul sur ma pratique, avec qui j’ai toujours fonctionnement. »

Records

Les records s’enchaînent, dont son premier UTMB en 2012. n 2014, il se lance un défi inédit : « Finir les trois grands Ultras que sont l’UTMB en août, l’Ultra-trail du Mont Fuji, au Japon en septembre, et le Grand Raid de La Réunion en octobre. » Il remporte les trois courses. En 2016, il bat le record du GR20… trois ans seulement après l’avoir découvert avec sa femme.

Chaque hiver, le couple fait une pause pour « voir ce qui me motive vraiment, ce qui va m’exciter », outre la traditionnelle Pierra Menta de mars, à laquelle il participe depuis neuf ans, pour s’échauffer.

Cette saison, le planning choisi comprend deux gros morceaux : la Western States en juin (166 km) et le Grand Raid, ex-Diagonale du Fou, à La Réunion (165 km) en octobre. Est-ce juste physiquement possible ? « Justement je ne sais pas. C’est ça qui est motivant. »

François D’Haene sur la Diagonale des Fous 2016, à La Réunion. / PHILIPP REITER

Avec la Western qu’il découvrait, François D’Haene s’est mis en danger, relégué à 1 h 24 du vainqueur l’Américain Jim Walmsley, qui a couvert les 166 km en 14 h 30. Le Français regarde désormais vers La Réunion, « une autre course mythique, parce que tous les ans c’est différent, et l’on n’arrive pas à s’y faire. Un jour, il fait chaud, un autre froid. Le corps est en superforme et puis, on ne sait pourquoi, à un moment, il vous lâche. La fin est très dure au niveau des pieds. C’est atroce [il sourit]… Mais on le cherche ! Donc il ne faut pas se plaindre. »

François D’Haene continue de creuser son sillon, d’approfondir la question. Pour trouver quoi ? « Je ne sais pas, je cherche toujours. »

John Muir Trail | A 359km Collective Adventure by Francois D'haene
Durée : 14:39