Le prélèvement à la source, une mesure toujours en sursis
Le prélèvement à la source, une mesure toujours en sursis
Par Benoît Floc'h, Audrey Tonnelier
Les soucis techniques et les risques politiques font hésiter le gouvernement sur l’opportunité de lancer cette réforme en janvier 2019. Une réunion décisive a lieu mardi à l’Elysée.
A la veille d’une réunion décisive, mardi 4 septembre à l’Elysée, sur le prélèvement à la source, la confusion s’est encore accentuée ce week-end sur les intentions d’Emmanuel Macron. Cette réforme de la collecte de l’impôt sur le revenu héritée de l’ère Hollande sera-t-elle bien lancée comme prévu en janvier 2019 ? Présente-t-elle un trop fort risque politique ? Est-elle suffisamment prête ? Alors que ces questions agitent l’exécutif et échauffent les oppositions, un article du Parisien, publié samedi 1er septembre, a relancé le débat sur le degré de préparation de Bercy.
Selon un « document ultra-confidentiel » de la direction générale des finances publiques (DGFIP), les tests menés ont fait apparaître de très nombreuses erreurs, jusqu’à 352 000 en février. Et il n’y a « a priori pas de possibilité de s’en prémunir », indique ce document. Les sources de dysfonctionnements seraient multiples : lors des tests, le système amenait certains contribuables à payer l’impôt d’un homonyme en plus du leur ou de payer plusieurs fois leur propre impôt. Le document évoque un « effet marée noire », selon Le Parisien. Il précise également que les employeurs (entreprises ou organismes publics), auquel échoira dorénavant la tâche de collecter l’impôt sur le revenu, ne sont pas tous prêts. Dimanche, sur BFM-TV, le ministre de l’économie, Bruno Le Maire, ne s’est pas opposé à la mesure mais a réclamé que « toutes les garanties techniques (puissent) être apportées à 100 % par le ministre des comptes publics et son administration ».
Dimanche, la DGFIP a donc assuré que les tests effectués depuis un an « ont permis d’identifier les doublons cités dans la presse et de déterminer comment les traiter pour éviter qu’ils se reproduisent ». Ces expérimentations « ont permis d’améliorer encore le dispositif », conclut le fisc. Samedi matin, Gérald Darmanin, le ministre de l’action et des comptes publics, qui défend bec et ongles la réforme depuis des semaines, avait pourtant reconnu que son « arrêt » était sur la table. Mais la question, avait-il insisté, est politique, pas technique. « Est-ce que, techniquement, on est prêt ? Oui, on est prêt, a-t-il répété sur France Inter. Est-ce que, psychologiquement, les Français sont prêts ? C’est une question à laquelle collectivement nous devons répondre. » « Nous choisirons ensemble politiquement l’avancée ou l’arrêt, puisque le président de la République l’a évoqué, de la réforme », a poursuivi le ministre, qui continuera à défendre cette réforme lors de la réunion de mardi.
« Aucune raison au report »
Mais a-t-il encore des marges de manœuvre ? La décision finale sera prise par l’Elysée et Matignon. Et, au-delà des considérations techniques, les risques politiques semblent peser de plus en plus lourd dans les réflexions de l’exécutif. Le gouvernement craint que la baisse faciale de la paye à partir de janvier 2019 (puisque, avec la réforme, l’impôt est prélevé par l’employeur) ne ralentisse la consommation, ce qui affaiblirait encore la croissance.
La réalité et les effets de ce « choc psychologique », mis en doute par l’entourage de M. Darmanin, semblent avoir provoqué une fracture au sein de l’exécutif. Bercy et Matignon défendraient la réforme tandis que l’Elysée serait plus que réticent. « Emmanuel Macron veut faire savoir qu’il a des doutes et qu’il met lui-même les mains dans le cambouis, décrypte une source gouvernementale. Et, en effet, c’est ce qu’il fait. Après, toutes ces fuites montrent que des gens veulent perturber Gérald Darmanin. Il est vrai que c’est une belle cible. Il conduit une réforme qui touche tous les Français ; il gagne en exposition et en notoriété. »
Au sein de la DGFIP, ces polémiques font aussi grincer des dents une administration sur la brèche depuis des mois pour mettre en œuvre le dispositif. Quand on veut noyer son chien on l’accuse d’avoir la rage, déplorent en substance certains agents du fisc. « Que certaines petites entreprises ne soient pas prêtes, c’est possible. Mais il reste quatre mois !, tempère-t-on en interne. Utiliser une phase de tests destinée à identifier les bugs pour descendre la réforme, cela nous consterne. Il n’y a aucune raison au report, sinon politique, à quelques mois des élections européennes. »
300 millions d’euros dépensés
En principe, le gouvernement peut faire marche arrière jusqu’au dernier moment. Mais, précise une source à Bercy, « le 15 septembre, avec l’envoi des taux d’imposition aux entreprises, on passe techniquement un cliquet. Après, arrêter sera plus complexe ». La question financière n’est pas non plus négligeable. Depuis trois ans, la mise en place de cette réforme a déjà coûté 300 millions d’euros à l’Etat, dont 10 millions en communication – une grande campagne est actuellement en cours. Qu’Emmanuel Macron abandonne le prélèvement à la source, et cet argent aura été dépensé en vain. Surtout, ce serait faire une croix sur plusieurs milliards d’euros d’économies induits par la réforme.
A compter du printemps 2019, le versement de l’aide personnalisée au logement (APL) ne sera plus décalé dans le temps, comme aujourd’hui. Cela évitera à l’Etat de payer une APL que la situation du bénéficiaire ne justifie plus. Cette mesure, déjà retardée de quelques mois afin d’éviter tout couac technique, ne sera possible qu’avec le prélèvement à la source. L’abandon de la réforme représenterait un milliard d’euros d’économies en moins pour l’Etat.
Par ailleurs, grâce à ce changement de collecte, le gouvernement espère améliorer encore le taux de recouvrement de l’impôt sur le revenu : actuellement de 98 %, il pourrait dépasser les 99 %. Soit 700 millions d’euros de plus dans les caisses de l’Etat. En juin, la Cour des comptes s’était montrée plus évasive : « Au total, les incertitudes sur le rendement du prélèvement à la source en 2019 pourraient s’élever à 2 milliards d’euros environ, soit 0,1 point de PIB », mais… à la hausse comme à la baisse, estimaient les magistrats financiers.