L’eSwatini, dernier allié de Taïwan en Afrique
L’eSwatini, dernier allié de Taïwan en Afrique
Par Brice Pedroletti
Pékin ne desespère pas de faire basculer le petit Etat dans son giron diplomatique, car tous les moyens sont bons pour affaiblir Taïwan et ses velléités d’indépendance.
Le roi de l’eSwatini, Mswati III, décore la présidente de Taïwan, Tsai Ing-wen, à Manzini, le 18 avril. / MONGI ZULU / AFP
Pour son grand sommet sino-africain, le président Xi Jinping a gagné son pari d’inviter toute l’Afrique. Ou presque : seul un petit Etat d’Afrique australe, l’eSwatini (ex-Swaziland), coincé entre Mozambique et Afrique du Sud, manque à l’appel. Et pour cause : c’est le seul pays du continent à avoir maintenu des relations diplomatiques avec la République de Chine, c’est-à-dire Taïwan. La présidente taïwanaise, Tsai Ing-wen, élue en 2016, s’y est rendue en visite officielle en avril. Or aux yeux de Pékin, tous les moyens sont bons pour pénaliser son gouvernement, considéré comme favorable à l’indépendance formelle de Taïwan.
Deux autres alliés africains de Taïwan, Sao Tomé et surtout le Burkina Faso, ont tourné casaque depuis 2016 pour basculer du côté de la Chine communiste – tout comme trois pays d’Amérique centrale et des Caraïbes. Le ralliement de Ouagadougou, le 26 mai, fut pour les Chinois une véritable victoire, alors que des responsables politiques burkinabés s’étaient publiquement offusqués des propositions d’aide chinoise – jusqu’à quatre fois le PIB de ce pays d’Afrique francophone. Taipei n’avait pu que déplorer que cet allié de vingt-quatre ans « succombe aux tentations de la diplomatie du dollar ».
Interrogé sur l’exception eSwatini, lors d’un point presse récent, l’envoyé spécial du gouvernement chinois pour l’Afrique, Xu Jinghu, a déclaré que la Chine n’exercerait « aucune pression » sur Mbabane. « Nous allons attendre que ce soit le bon moment » pour coopérer, a-t-il dit, ajoutant : « Je pense que cela arrivera tôt ou tard. »
Hôpital, aéroport, orphelinats
La diplomatie du carnet de chèques fut à l’origine l’apanage de Taïwan dans les années 1990 – jusqu’à ce que la jeune démocratie adopte une approche plus vertueuse, en privilégiant l’aide humanitaire et la culture. En eSwatini, Taïwan a également financé un hôpital et construit le nouvel aéroport. L’organisation bouddhiste Amitofo, qui est aidée par le gouvernement taïwanais dans ses actions humanitaires en Afrique, y est connue pour ses orphelinats – mais elle l’est aussi dans nombre de pays africains ayant établi des relations avec Pékin.
Mais pour Taipei, la constance d’eSwatini est quelque peu embarrassante : le pays est une monarchie absolue, qui n’autorise pas les partis politiques. Or Taïwan, qui est gouverné par le Parti démocrate progressiste (DPP), issu de la lutte contre la dictature, a pour stratégie de se démarquer de la Chine en mettant en avant son attachement à la démocratie.
L’entente entre Taipei et Mbabane est principalement attribuée à la famille royale. L’un des fils du roi Mswati III, bien placé dans la succession de ce monarque aux nombreuses épouses, vient de recevoir son diplôme d’une université taïwanaise. Sa cérémonie de remise de diplôme a coïncidé avec la visite officielle de son père à Taipei, en juin, dans le tout nouvel Airbus royal, un A340-300 racheté à la compagnie taïwanaise China Airlines. Cela n’a pas échappé à l’opposition politique brimée du petit Etat africain, qui a dénoncé de nouvelles extravagances.