On a testé… relancer Windows 95
On a testé… relancer Windows 95
Par Michaël Szadkowski
Un développeur a publié une version du célèbre système d’exploitation pouvant fonctionner sur nos ordinateurs actuels. L’occasion d’un voyage dans le passé.
Un après-midi de septembre. Le ciel gris déverse de gros nuages sur Paris. Les premiers manteaux ont fait leur apparition. Les bureaux se repeuplent. C’est la rentrée. Quel meilleur moment pour faire tourner Windows 95 sur son ordinateur ?
L’idée parait incongrue… car on parle bien, ici, de la rentrée 2018. Mais le projet est réalisable, facilement, sur nos machines modernes grâce au travail de Félix Rieseberg. Ce développeur, qui vit à San Francisco, a publié le 23 août un portage de Windows 95 sur sa page Github. Curieux et nostalgiques peuvent y télécharger une application Windows 95 en fonction de leur ordinateur actuel (pour Windows 7 ou 10 version 32 bits ou 64 bits, pour macOS Sierra, etc.).
I put Windows 95 into an Electron app that now runs on macOS, Windows, and Linux. It's a terrible idea that works s… https://t.co/5A25IOv93F
— felixrieseberg (@Felix Rieseberg)
Ces applications « standalone », qui ont pris à Félix Rieseberg « environ un jour » de développement, ne nécessitent pas d’installation particulière. Elles renferment « exactement les mêmes fichiers que dans le Windows 95 des années 1990 », explique-t-il au Monde, en parlant d’une « petite expérience » pour faire fonctionner un système d’exploitation entier de la sorte.
Sur Github, le développeur indique que 99,999 % du travail avait déjà été fait dans le cadre du projet v86, qui fait tourner Windows 98 dans une page de navigateur Web. Ancien de Microsoft, Félix Rieseberg a simplement intégré ce projet dans une application à télécharger à part, fonctionnant dans l’environnement de développement Electron – un cadre technique qu’il manie habituellement pendant ses horaires de bureau chez Slack. Faire tourner Windows 95 sous Electron est une suite logique de sa carrière, réalisée « surtout pour le fun. Je voulais voir si c’était possible, alors j’ai essayé. »
« Petit voyage dans le passé »
On se dit la même chose en lançant ce Windows 95. Un double clic, un menu succinct qui nous demande si on veut « insérer une disquette » ou simplement « démarrer Windows ». Des lignes de commande blanches défilent. Apparaît le célèbre écran de chargement carré, aux couleurs bleues, avec quelques nuages. Un sablier indique que le bureau est en train de se charger. Quelques icônes pixelisées, une barre de menu grise en pied d’écran. Une souris qui se déplace légèrement en retard, des clics qui mettent parfois plusieurs secondes à déclencher l’action voulue. Le sentiment est d’avoir un espace graphique à la genèse des standards de Windows (menu Démarrer, les icônes, le panneau de configuration), qui serait toutefois fatigué par le poids de son âge vénérable.
Pas de doute, nous y sommes. On se surprend à explorer des « menus » que l’on n’avait pas vus de la sorte depuis longtemps, évoquant un ressenti d’il y a plus de vingt ans, en explorant un ordinateur pour la première fois grâce à une souris ouvrant des « fenêtres ».
Les menus de Windows 95. / Pixels
« Beaucoup de gens m’envoient des photos d’eux en train de jouer au Démineur, en me disant qu’ils adorent ce petit voyage dans le passé », note avec plaisir Félix Rieseberg. Au-delà du fun, le développeur met en avant l’intérêt éducatif du projet, afin de permettre aux plus jeunes générations de voir – et de comprendre – comment l’informatique existait dans les années 1990. « Les services juridiques de Microsoft ne m’ont pas contacté, assure-t-il. Dans le passé, Microsoft a le plus souvent gentiment regardé ailleurs pour ce genre de projet à vertu éducative. Mais s’ils veulent que je l’enlève d’Internet, je le ferai sans discuter. »
Son Windows 95 pourra d’ici là servir dans des cours d’histoire de l’informatique, ou pour démontrer à de jeunes impatients que non, la tablette de papa n’est pas « lente ». Cela pourra passer par des parties de Démineur, de Solitaire, ou encore des dessins sur un Paint (RIP) extrêmement simple, mais qui répond à ce qu’on lui demande.
Œuvre libre réalisée sous Paint de Windows 95. / Pixels
Si, sur Windows 7, l’application Windows 95 de Félix Rieseberg est très fluide, les temps de chargement ont été pour nous plus capricieux sur un Macbook. Seule « ombre » au tableau : l’impossibilité de surfer sur Internet au sein de ce Windows 95. Lancer l’une des premières versions de Microsoft Internet Explorer ne conduit qu’à des messages d’erreur. Ce qu’on comprend aisément, pour des questions de connexion réseau au sein de l’application Windows 95, ou d’incompatibilité entre l’Internet moderne et un navigateur développé en 1995.
Cette application est, pourtant, un document d’archive. L’apparition d’Internet Explorer par défaut dans Windows 95, système d’exploitation qui sera vendu à plus de 100 millions d’exemplaires, a sans doute permis de populariser Internet dans de nombreux foyers.
Planter. Redémarrer. Scan Disk.
Contrairement à d’autres résurrections de Windows 95 qui avaient eu lieu directement dans Chrome ou Firefox (comme celle sortie pour les vingt ans du système d’exploitation, ou le « jeu » simulant une journée de travail façon Windows 95), la version proposée par Félix Rieseberg fonctionne à partir d’une « image » du système d’exploitation, accessible et modifiable sur son disque dur. Elle permet de sauvegarder ses fichiers et sa configuration (fond d’écran à nuages, économiseur d’écran labyrinthique…) et de les retrouver lorsqu’on relance Windows.
Elle ouvre également la possibilité d’y ajouter des fichiers et applications compatibles avec Windows 95, pour peu qu’on en dispose. On pense tout de suite aux jeux vidéo. Comme le rappelle un article de Forbes, le succès de Windows 95 a aussi largement permis l’essor des jeux sur PC, grâce à l’arrivée de Direct X comme solution de développement et d’affichage sur tous types de configurations matérielles.
Doom pour Windows 95. / Pixels
Nos premières tentatives pour répondre à la promesse de faire tourner une copie d’époque de Doom 95 ont toutefois misérablement échoué. La faute à… un affichage d’écran trop large, comme nous l’a appris un tutoriel sur YouTube.
Pour y parvenir, il a fallu passer l’écran de notre Windows 95 en mode 256 couleurs et résolution de 640 x 480 pixels. La suite signa le grand retour d’un tube oublié des années 1990 : redémarrer-planter-scandisk-bureau-planter-redémarrer-scandisk-etc. La seule fois où nous avons réussi à obtenir la configuration demandée, puis à jouer à Doom 95, il a fallu attendre une dizaine de minutes, sans rien toucher, devant le regard interloqué de collègues pressés de partir à la cantine.
Pendant ce temps-là, nous sommes retournés sur notre smartphone pour consulter divers messages reçus, y répondre avec des GIF tout en écoutant de la musique avec un casque Bluetooth, et tout ça sur un écran tactile aux couleurs vives. Le contraste entre l’interface lente et sobre de Windows 95 fut saisissant. Et nous poussera à envoyer un conseil à notre adolescence des années 1990, piégée face à un « écran bleu de la mort » : patience, dans vingt ans, tout ira mieux.
En bref
On a aimé :
- Revivre ses premières émotions informatiques ;
- Explorer l’architecture et le design d’un système d’exploitation culte ;
- Tenter de défragmenter son disque dur ;
- Jouer au Démineur.
On n’a pas aimé :
- L’absence de raccourci vers le bureau ;
- L’impossibilité de mettre son CD AOL pour profiter de 50 heures d’Internet gratuites ;
- Le dixième affichage d’affilée de Scandisk.
C’est plutôt pour vous si…
- Vous avez du temps devant vous ;
- Vous êtes nostalgique ;
- Vous voulez montrer à vos enfants ce que voulait dire « avoir un ordinateur » à l’époque, pendant qu’eux trouvent ça normal d’avoir trois vidéos YouTube qui tournent en fond sur l’ordinateur du salon pendant leur partie de Minecraft, à laquelle, en fait, ils ne jouent pas parce qu’ils répondent à Dylan sur Instagram qui a encore fait un selfie trop abusé dans sa story.
Ce n’est plutôt pas pour vous si…
- Vous n’avez jamais utilisé Windows 95 ;
- Vous ne comprenez pas la notion d’« émotion informatique » ;
- Vous préfériez Steve Jobs à Bill Gates.
La note de Pixels :
Trois écrans bleus de la mort sur 4
Windows 95 fête ses vingt ans