« Le jour où des réfugiés soudanais ont fait danser la vallée de la Roya »
« Le jour où des réfugiés soudanais ont fait danser la vallée de la Roya »
Par Pablo Aiquel
Les Soudan Célestins Music et moi. Lors du festival des Passeurs d’humanité, les membres du groupe se sont remémoré leur passage de la frontière franco-italienne.
Les Soudan Célestins Music sur la scène du festival des Passeurs d’humanité, à Breil-sur-Roya, le 12 juillet 2018. / Pablo Aiquel
Chronique. « Je suis passé par le tunnel et j’ai mis deux ou trois heures. – Trois heures ? Moi c’était beaucoup plus ! » Ali et Bakry, deux Soudanais que Le Monde suit dans le cadre du programme Les Nouveaux Arrivants, parlent de leur passage entre Vintimille, en Italie, et Menton, en France.
Ali poursuit : « Je suis passé avec deux Bangladais et d’autres Soudanais, comme ça », mime-t-il en plaquant son dos et ses bras à des parois imaginaires pour laisser passer les trains – ou du moins leur souvenir. « J’ai dormi deux nuits devant la gare à Vintimille, puis j’ai essayé de passer en train mais j’ai été refoulé. Ensuite, je suis passé par le tunnel pour aller en France, et après le train jusqu’à Paris. »
Bakry, quant à lui, a pris le chemin la montagne. C’est ainsi qu’il est tombé sur le campement de Cédric Herrou, le paysan de la vallée de la Roya qui s’est fait connaître par ses actes de solidarité avec les migrants. Cette même vallée où les Soudan Célestins Music, groupe de réfugiés soudanais installés à Vichy – et dont Ali et Bakry font partie –, doit jouer lors du festival des Passeurs d’humanité, organisé par l’association Les Amis de la Roya du 12 au 15 juillet à Breil-sur-Roya (Alpes-Maritimes).
La fin d’après-midi au bord du lac turquoise, en attendant l’heure du concert, est propice à l’évocation de leurs souvenirs du passage. Loin des stands des militants pro-migrants, des livres et des tables rondes, et toujours derrière la barrière de la langue qui les empêche encore de saisir détails et nuances – mais pas de comprendre qu’ils sont en terrain amical.
« Arrivé seul et sans le sou »
L’exposition de dessins de réfugiés passés par la Roya, ou encore la rencontre avec le chanteur HK (de son vrai nom Kaddour Hadadi) qui interprète J’ai marché jusqu’à vous en face de l’église, leur font dégainer les portables pour prendre des photos ou enregistrer des vidéos. « Arrivé seul et sans le sou, mais surtout arrivé en vie, comprenez pourquoi je souris », dit la chanson. Même sans en comprendre chaque mot, ils savent qu’elle raconte leur histoire.
Le soir tombe. Sur la scène, sous un chapiteau blanc, les personnalités défilent et les discours sont difficiles à traduire : les députés européens Marie-Christine Vergiat et José Bové, des avocats, des artistes, des militants… Les réfugiés de Vichy applaudissent poliment. Puis vient le concert de HK, qui montre la voie : avec une pêche d’enfer, il monte en puissance et enflamme la piste de danse.
Hassan, Ahmed, Faisal et les autres sont aux anges. Ils se prennent en photo avec HK, cependant que la pression monte car leur tour arrive. Hassan me demande de rappeler qu’ils ne sont pas des professionnels, que c’est juste une bande de potes, un jardinier, un chauffeur, un cariste… Mais eux aussi mettront le feu sur scène et seront ravis d’entendre le public en demander « une autre, une autre ! ».
La musique s’arrête. Ali fait monter Cédric Herrou sur scène et dit, en arabe : « Mes remerciements à Cédric pour tout ce qu’il fait pour les migrants. Ce monsieur, je ne le connaissais pas, mais sa réputation dépasse l’imagination. Tout le monde en parle. Aujourd’hui nous fêtons avec vous les principes de la République française : liberté, égalité, fraternité. Ici, sur la terre de Voltaire, nous saluons ces principes et vous remercions pour ce que vous faites. Cédric, tu resteras gravé dans nos cœurs. »
Pablo Aiquel est journaliste indépendant. Il travaille pour La Gazette des communes comme correspondant Auvergne et ruralités.