Suède : l’extrême droite « toujours persona non grata, pour le moment en tout cas »
Suède : l’extrême droite « toujours persona non grata, pour le moment en tout cas »
Correspondante du « Monde » dans les pays nordiques, Anne-Françoise Hivert analyse les résultats des élections suédoises qui se sont tenues dimanche.
Le chef de file des Démocrates de Suède (extrême droite), Jimmie Akesson, à Stockholm, le 10 septembre 2018. / Henrik Montgomery / AP
Anne-Françoise Hivert, correspondante du Monde dans les pays nordiques, a répondu aux questions des internautes sur les résultats des élections législatives suédoises, qui se sont tenues dimanche 9 septembre.
Carl : Bonjour, à quel point une alliance droite-extrême droite est-elle possible en Suède ? Les SD sont-ils vraiment persona non grata dans la politique suédoise ?
Anne-Françoise Hivert : Une alliance gouvernementale avec eux est absolument impossible. La formation d’un gouvernement de droite (composé des conservateurs, centristes, chrétiens-démocrates et libéraux) qui s’appuierait sur le soutien des Démocrates de Suède (SD, extrême droite) est également exclue.
Lundi 9 septembre au matin, SD a envoyé une proposition de négociations aux conservateurs et chrétiens-démocrates. Ils y ont opposé une fin de non-recevoir. Les autres partis ont toujours dit qu’ils ne négocieraient pas avec SD. De son côté, SD refuse d’exercer un soutien passif – sans condition et sans influence – à un gouvernement de droite. Et les centristes et libéraux ont été très clairs : ils ne feront pas partie d’un gouvernement qui, à un moment ou à un autre, pourrait se retrouver en position de dépendance à l’égard de SD. Donc, la seule solution pour le moment est un rapprochement avec la gauche. Mais c’est un scénario également très compliqué…
En résumé : SD est toujours persona non-grata. Pour le moment en tout cas. Mais les lignes ont bougé pendant la campagne, avec certains partis qui ont clairement repris la rhétorique de SD. Le parti, évidemment, s’en réjouit, estimant qu’il ne serait pas difficile de trouver un accord, sur l’immigration et le durcissement des peines notamment, avec les conservateurs et les chrétiens-démocrates.
Yves : Quelles sont les principales propositions de l’extrême droite suédoise ? Ils poussent pour un « Suéxit » aussi ?
A.-F. H. : Oui, ils veulent que la Suède sortent de l’UE. Mais ce n’est pas une de leur priorité immédiate. Ils demandent un durcissement supplémentaire de la politique de l’asile, plus de policiers dans les rues, plus d’argent aux retraités (une baisse des taxes sur les retraites), des investissements dans le système de santé… Ce sont sur ces points qu’ils voudraient obtenir une influence en échange d’un soutien potentiel à un gouvernement de droite. Par ailleurs, ils ont un programme étoffé en faveur de l’assimilation des étrangers, l’aide au retour des immigrés (y compris qui vivent en Suède depuis longtemps)…
Kelkun : Bonjour, l’immigration en Suède a-t-elle augmenté ces dernières années ?
A.-F. H. : Oui. Enormément. La Suède a accueilli près de 450 000 demandeurs d’asile depuis 2010. Environ 60 % ont obtenu un titre de séjour. C’est sans compter avec les personnes arrivées via le regroupement familial. Rien qu’en 2015, le pays de 10 millions d’habitants a reçu 163 000 demandeurs d’asile en une année – un des taux les plus élevés en Europe proportionnellement à la population du pays. Pour vous donner un ordre d’idée, 18,5 % de la population suédoise est aujourd’hui née à l’étranger. Le chiffre était de 11,3 % en 2000, 14,7 % en 2010.
Chat teigneux : La politique migratoire suédoise s’est-elle durcie ? La Suède pousse-t-elle également à un durcissement des contrôles aux frontières de l’UE ?
A.-F. H. : Oui, la politique migratoire du pays a radicalement changé depuis le 24 novembre 2015, quand le premier ministre Stefan Löfven et la porte-parole des Verts, Åsa Romson (en pleurs), annoncent, lors d’une conférence de presse, que les capacités d’accueil de la Suède sont saturées et que tant que le reste de l’UE ne prend pas ses responsabilités, ils ferment les frontières du pays.
Jusqu’alors, les réfugiés syriens et afghans notamment obtenaient quasi-systématiquement l’asile et un permis de séjour permanent. Ils sont remplacés par des permis de séjour temporaire. le regroupement familial est quasiment suspendu et soumis à de strictes conditions.
Le gouvernement a par ailleurs décidé de généraliser les examens médicaux pour déterminer l’âge des mineurs isolés - des examens pourtant extrêmement controversés. Résultat : en 2015, la Suède a reçu 162 877 demandeurs d’asile. En 2016, on est descendu à 28 939 et 25 666 en 2017. Au niveau européen, Stockholm ne pousse pas en faveur du renforcement des frontières, mais d’un système de partage entre les différents pays.
De Scandinavie : Pourquoi parle-t-on tellement de la Suède aujourd’hui alors qu’i s’est passé la même chose dans les pays voisins avec le Fremskridtparti en Norvège qui gouverne toujours avec Erna Solberg et la Finlande avec le parti des Vrais Finlandais. La Suède est plus importante ?
A.-F. H. : Non. Mais en Suède, l’extrême droite n’a pas les mêmes racines que dans les pays voisins. Les Démocrates de Suède ont été créés par d’anciens nazis. Ils ont longtemps attiré des sympathisants néonazis. Ils ont encore des sympathisants qui ont des contacts avec la mouvance néonazie en Suède. Ce n’est pas le cas dans les autres pays.
Par ailleurs, les partis traditionnels avaient jusqu’à présent refusé de leur accorder la moindre influence, pratiquant la politique du cordon sanitaire. On se rend compte aujourd’hui que cette stratégie n’a pas été plus efficace que de les utiliser comme contrepoids au gouvernement (dans le cas danois) ou les intégrer au gouvernement (en Norvège).
Enfin, il y a aussi je pense une certaine curiosité pour ce qui se passe dans ce pays qui longtemps a défendu l’ouverture de ses frontières et l’accueil des réfugiés. Avant de revenir en arrière en novembre 2015.
lui : En tant que correspondante, avez-vous vu le pays et les mentalités changer ces derniers temps en Suède ? Et si oui, dans quel sens ?
A.-F. H. : C’est surtout la rhétorique qui a changé, notamment dans le débat politique. Et cela s’est passé très vite. Jusqu’en 2015, certaines choses ne se disaient pas, au risque d’être taxé de « raciste ». Par exemple, poser la question de l’impact de l’accueil des réfugiés sur le système social suédois. Y compris quand le pays recevait 10 000 demandeurs d’asile par semaine.
Le débat s’est radicalement transformé à partir de 2015, quand les partis traditionnels se sont mis à reprendre certaines formulations des SD, à parler de quotas, à lier l’arrivée des réfugiés à la criminalité… Autre chose enfin a changé ces dernières années : les Suédois osent désormais dire tout haut ce qu’ils se contentaient de penser tout bas. Et les électeurs et sympathisants SD l’assument. La Suède s’est « européisée ».
Jean-Luc : Est-il exact que Malmö est devenue la capitale européenne des attaques à la grenade ?
A.-F. H. : Malmö est surtout devenue un symbole pour l’extrême droite et les médias ultraconservateurs du monde entier, qui veulent en faire l’exemple de l’échec cuisant du multiculturalisme. De fait, Malmö a des problèmes, notamment en termes de ségrégation et de criminalité. Dix personnes ont été tuées dans des fusillades, depuis le début de l’année – il s’agissait de règlements de compte entre membres de divers gangs. Le sentiment d’insécurité augmente, même si les statistiques de la criminalité restent stables, voire baissent légèrement. Cela étant, Malmö est aussi une ville où il fait bon vivre. Mais elle est utilisée par des sites comme Russia Today, Sputnik, ou Breitbart et Infowars pour propager un message souvent très islamophobe.