Non, l’Afrique subsaharienne ne va pas « envahir » l’Europe
Non, l’Afrique subsaharienne ne va pas « envahir » l’Europe
Par Anne-Aël Durand, Maryline Baumard
Une étude publiée par l’INED invalide la thèse d’une « ruée vers l’Europe » de la population d’Afrique subsaharienne en 2050.
Le bateau de secours Lifeline, en Méditérannée, le 22 juin. / HERMINE POSCHMANN / AFP
L’Europe de 2050 sera-t-elle peuplée de 25 % d’immigrés subsahariens ? Depuis que l’écrivain Stephen Smith a prophétisé, en début d’année dans La Ruée vers l’Europe (Grasset), que le vieux continent comptera 150 à 200 millions d’Afro-Européens dans trente ans, la question, hier cantonnée à l’extrême droite, a trouvé d’autres porte-voix. Dans le contexte de fermeture de l’Europe, la démonstration de l’universitaire, ex-journaliste (au Monde, notamment) a séduit jusqu’au sommet de l’Etat où Emmanuel Macron estimait le 16 avril que l’auteur avait « formidablement décrit » la menace d’une jeunesse africaine massée sur l’autre rive de la Méditerranée, à qui il ne manque qu’un « go » pour s’élancer vers les capitales européennes.
Depuis sa chaire Migrations et sociétés, au Collège de France, François Héran a un moment observé ce débat, avant de s’en saisir, au nom de la « véracité scientifique ». Ce sociologue, anthropologue et démographe, meilleur spécialiste français du sujet, répond aujourd’hui que cette invasion est un mirage.
« L’ordre de grandeur le plus réaliste est cinq fois moindre » a-t-il même mesuré, réfutant le spectre d’une Europe à 25 % afro européenne. « Les Sub sahariens, qui représentent 1 % de la population européenne (1,5 % de la population française) représenteront tout au plus 3 ou 4 % de la population des pays du nord en 2050 », ajoute-il dans le dernier numéro de Population et Sociétés, la revue de l’Institut national d’études démographiques, qui sort aujourd’hui, où il signe un article intitulé « l’Europe et le spectre des migrations subsahariennes ».
Une hausse mais pas « une invasion »
Cette analyse scientifique étayée qui sonne comme le premier round d’un match l’opposant aux tenanciers de la théorie du « Grand remplacement » de la civilisation européenne par les immigrés - développée par Renaud Camus et reprise par de nombreux médias d’extrême droite et identitaires - ou de la Ruée vers le vieux continent, de M. Smith. Les élections européennes de mai 2019 devraient d’ailleurs faire caisse de résonance à ce débat qui traverse l’Europe, se nourrissant simultanément de la croissance démographique prévue en Afrique dans les décennies à venir et de la crise de l’accueil des migrants en Europe.
Et pourtant… Aujourd’hui, « 70 % des migrants subsahariens s’installent dans un autre pays africain, 25 % se répartissent entre le Golfe et l’Amérique du Nord et 15 % viennent en Europe », relativise le chercheur.
« Si l’on intègre la croissance démographique projetée par l’ONU. C’est-à-dire le passage de 970 millions d’Africains en zone subsaharienne à 2,2 milliards en 2050 (…) les immigrés subsahariens installés dans les pays de l’OCDE pourraient représenter en 2050 non plus 0,4 % de la population, mais 2,4 %. »
Une hausse importante, admet M. Héran, « mais 2,4 % ne permet en aucun cas de parler d’invasion, même en ajoutant la seconde génération ». A l’heure actuelle, « sur les 420 millions d’habitants d’Europe de l’Ouest, 5,3 millions sont nés en Afrique du Nord, et 4,4 millions dans le reste du continent africains », insiste-t-il pour établir un état des lieux. Dit autrement, l’Europe compte 1,5 % de populations d’origine maghrébine et 1 % de Subsahariens, quand en France ces taux sont de 4,3 % pour les natifs d’Afrique du nord et de 1,5 % pour les Subsahariens.
Ces analyses, qui s’appuient « sur des statistiques de plus en plus fiables qui autorisent à se passer des états civils parfois lacunaires », permettent de démontrer « que l’Afrique émigre moins que l’Amérique centrale, l’Asie centrale ou les Balkans », rappelle M. Héran. Pour arriver à cette conclusion, à ce chiffrage précis, le chercheur – qui a aussi une casquette de statisticien à l’Insee – a travaillé sur un outil construit par la Banque mondiale, l’OCDE et le FMI, qui recense depuis quinze ans le nombre de natifs d’un pays résidant ailleurs.
Les mouvements des populations aujourd’hui « confirment un résultat connu de longue date des économistes : plus un pays est pauvre, moins ses habitants ont de chance de migrer au loin. S’ils émigrent c’est d’abord dans les pays limitrophes ».
Forte volonté d’émigrer
Pour François Héran, il faudrait un saut en matière de développement pour que l’Afrique émigre vraiment massivement. Or, « les données qu’explore Stephen Smith s’appuient sur une Afrique qui aurait atteint le même niveau de richesse que le Mexique. Niveau de développement dont en est globalement loin », ajoute-t-il.
De même, il réfute l’idée que les populations se « déversent » mécaniquement des pays à forte fécondité vers les pays à faible fécondité puisqu’à ce jour, « ceux qui comptent au moins 4 enfants par femme ont envoyé 5 % seulement de leurs migrants vers les pays ayant moins de 1,7 enfant. Les pays les plus mobiles sont les plus engagés dans la transition démographique, que ce soit au Sud ou au Nord », ajoute le chercheur.
Bref, si tous les arguments invoqués par les démographes plaident pour une soutenabilité de la migration africaine vers l’Europe, dans les années à venir, ils dévoilent quand même qu’un « temps 2 », moment où l’Afrique aura atteint un seuil de développement suffisant, se conjuguera avec une volonté d’émigrer plus forte.
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