Arte, dimanche 16 - 22 h 40, documentaire

A Cologne, le 12 décembre 1976, la nuit est froide et neigeuse. Mais il fait chaud dans la « cabane » sous les toits, au-dessus de l’appartement d’Alice Schwarzer, journaliste féministe allemande bien connue. Il y a des coussins, des cigarettes et du vin. Et Romy Schneider qui, alors qu’elle a refusé tout entretien depuis des années à la presse allemande, se confie.

L’actrice est au faîte de sa carrière. Elle tourne avec Claude Sautet (entre autres films César et Rosalie, 1972, que diffuse Arte en première partie de soirée), avec Francis Girod, Pierre Granier-Deferre, Claude Chabrol, Michel Deville, etc.

Mais aussi Luchino Visconti qui, dans Ludwig, le crépuscule des dieux (1972), lui confie ce rôle de Sissi qu’elle haïssait depuis les films d’Ernst Marischka qui l’avaient rendue, encore adolescente, riche et célèbre. Mais c’est une autre Sissi que lui inspire le cinéaste, qui décèle chez la comédienne un « spleen germanique ».

Confession intime

Au cours de cette nuit, Romy Schneider veut laisser s’exprimer ce spleen, cette douleur. Elle connaît Alice Schwarzer, elle lui répète qu’elle lui fait confiance, qu’elle veut tout dire ; mais elle la supplie aussi de ne pas la trahir. Alice va enregistrer ; mais elle arrête le magnétophone quand Romy le lui demande.

Quarante-deux ans plus tard, Alice Schwarzer a décidé de rendre publiques ces bandes, qu’elle avait laissées dans un tiroir. Une partie de la matière de ces conversations a été confiée à Patrick Jeudy qui, avec Charly Buffet, en a fait la sève d’un exceptionnel documentaire. Alice Schwarzer témoigne avec beaucoup de tact ; elle remplit même les « blancs » de ces enregistrements, quand le magnétophone est stoppé tandis que la confession devient trop intime. Romy Schneider parle essentiellement le français, qu’elle considère comme « la langue des confidences ».

Alice Schwarzer lui répond le plus souvent en français qu’elle connaît pour l’avoir étudié puis avoir été correspondante politique à Paris. Cette langue tierce affirme encore plus le caractère d’étrangeté de cette rencontre où Romy Schneider va évoquer notamment les deux épines qu’elle garda chevillées en sa chair.

« Un chaud-froid permanent »

D’une part, sa mère, l’actrice Magda Schneider, très hitlérienne, et son père qui ne le fut pas moins ; d’autre part, le deuxième époux de sa mère, qui poursuit l’adolescente de ses assiduités sexuelles. Romy Schneider raconte mais ne veut pas « blesser sa mère », qui lui survivra pendant quatorze années.

Des images d’archives montrent Romy Schneider aussi intense que fragile : « Elle pouvait être dominante et soumise, faible et forte, un chaud-froid permanent », dit Alice Schwarzer. On la croit en train de tourner une scène, et c’est en fait un entretien « à cœur ouvert » avec la presse française – la presse allemande était « trop dégueulasse », dit Romy à son amie.

On la voit aussi dans cette fameuse scène du viol dans Le Vieux Fusil (1975), de Robert Enrico, où les témoins ont dit « qu’elle ne s’appartenait plus ». Face à Alice, elle supplie encore une fois de la regarder, elle, et non « son cliché, sa projection ».

Alice est fatiguée mais Romy veut encore et encore continuer. Elles se couchent. Au petit matin, l’actrice a quitté sa chambre. Et le documentaire, pudique et bouleversant, se termine par une vue de la Cologne d’aujourd’hui, froide comme l’absence de cette sublime comédienne qui devait mourir, usée et meurtrie, cinq ans plus tard, à 43 ans seulement.

« Conversation avec Romy Schneider », documentaire de Patrick Jeudy (France, 2018, 53 min).